LES PERSPECTIVES ne sont guère réjouissantes. La Sécu n’est toujours pas guérie. Et le budget pour 2015 sera synonyme d’un nouveau serrage de ceinture. C’est ce que laissent à penser les grandes lignes du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) présentées lundi par la ministre de la Santé. Marisol Touraine a en effet confirmé une progression de l’ONDAM* pour 2015 de 2,1 % (contre 2,4 % pour cette année), ce qui représente une enveloppe de 182,3 milliards d’euros. Certes, la hausse de l’ONDAM autorisée pour la ville est supérieure à celle permise à l’hôpital (+2,2 % contre +2 %). Mais en pratique, cela va se traduire pour la pharmacie par un nouveau tour de vis sur le poste Médicament. Car même si la ministre assure qu’il n’y aura aucun déremboursement, les baisses de prix envisagées s’élèvent à 550 millions d’euros en 2015. La poursuite du développement des génériques doit, quant à elle, rapporter 435 millions d’euros supplémentaires. Au total, le gouvernement table sur un peu plus d’1 milliard d’euros d’économies sur les produits de santé. Un coup de rabot sur les tarifs auquel vient s’ajouter des mesures de maîtrise médicalisée. Quoi qu’il en soit, Marisol Touraine l’assure, le contrôle des dépenses de Sécurité sociale ne remettra « pas en question la qualité de notre système de santé ».
Revenus en baisse.
La profession en doute. La réduction de l’ONDAM de 2,4 à 2,1 % aura « un impact réel sur la chaîne du médicament, celle-ci ne pouvant pas assumer davantage d’économies », s’inquiète Philippe Besset, vice-président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), à l’occasion de la dernière Journée de l’économie organisée par « le Quotidien ». Et en premier lieu, l’officine qui, selon lui, se trouve aujourd’hui « dans un état critique ». Car le bilan économique de 2014 est « absolument catastrophique ». « À la fin août, la baisse de la marge réglementée est de l’ordre de 124 millions d’euros, soit une perte par pharmacie de l’ordre de 5 600 euros », relève Philippe Besset. Et ce manque à gagner devrait encore augmenter avant la fin de l’année. En effet, alors que les mesures pour 2014 devaient entraîner une perte de marge de 130 millions d’euros, le coût pour le réseau sera finalement de 180 millions d’euros. Dans le même temps, les charges vont augmenter de 2,5 %, ce qui représente un coût de 185 millions d’euros pour le réseau. Et les mesures prévues par la convention signée en 2012, qui avaient sauvé l’économie officinale en 2013, voient aujourd’hui leurs effets s’amenuiser. La prime générique ne rapportera ainsi cette année que 50 millions d’euros de plus que l’an passé. Au total, le revenu des pharmacies va baisser en 2014 de plus de 10 % en moyenne.
Risque de disparition.
« La situation aujourd’hui est véritablement catastrophique », confirme Philippe Becker, expert comptable chez Fiducial. Il ajoute, sans détour : « Certaines pharmacies vont disparaître ». Quelles sont celles qui souffrent le plus ? « Les petites officines, rurales ou de centre-ville, situées dans des zones en difficulté ou ayant perdu leurs médecins », répond l’expert-comptable. Pas d’accord avec cette analyse, Claude Baroukh, secrétaire général de la FSPF, affirme, au contraire, que les petites pharmacies sont viables. Quant au problème de la désertification médicale, il est essentiellement lié à une mauvaise répartition des prescripteurs sur le territoire, martèle-t-il. Avis partagé par Bernard Charles, président du centre d’études et de formation hospitalière (CEFH). Selon lui, les municipalités et l’État vont d’ailleurs certainement engager des actions pour favoriser l’installation des jeunes médecins dans certaines zones. Mais attention, met-il en garde, « ne mettez jamais le doigt dans l’ouverture du capital ».
« Depuis deux ans, il n’y a pas de nouveaux éléments permettant de stabiliser l’économie de l’officine », déplore de son côté le président de la FSPF, Philippe Gaertner. Dans ce contexte de baisses de prix récurrentes, la nouvelle rémunération, qui doit se mettre en place au début de l’année prochaine, représente une bouée de sauvetage. En effet, « elle permet de commencer à détacher les revenus des pharmaciens des prix et des volumes, même si cela reste encore insuffisant », souligne Philippe Gaertner. Car pour lui, l’objectif est bien d’arriver à un honoraire à l’ordonnance. Le président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), Gilles Bonnefond, en reste, lui, persuadé, la piste de l’honoraire à la boîte doit être révisée. « Nous devons trouver un accord qui lie davantage la rémunération à l’ordonnance, en particulier pour celles qui ne sont pas suffisamment rémunératrices », estime-t-il. Une façon, selon lui, de contrer l’effet des baisses de prix. Quant à la croissance, elle viendra des services et des nouvelles missions, prévoit le président de l’USPO. « L’accord avec l’assurance-maladie a le mérite d’exister, mais il ne permet pas une réponse économique », affirme pour sa part Denis Trouillé, vice-président de l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF), chargé de l’économie, qui souhaite lui aussi aller vers une rémunération à l’ordonnance, indépendante des prix et des volumes.
Un problème recettes.
Mais, pour l’heure, la première inquiétude vient de ce PLFSS pour 2015 censé ralentir l’aggravation du célèbre « trou de la Sécu ». « Le déficit de la Sécurité sociale est avant tout un problème de recettes », insiste Patrick Errard, président du LEEM. Pour donner plus de visibilité aux entreprises, il plaide en faveur d’un PLFSS trisannuel, ouvrant la voie à des réformes structurelles de long terme et permettant le financement du système et des produits innovants. Le cas du Sovaldi est un exemple des difficultés pour la collectivité à prendre en charge l’innovation (voir encadré). Et ce n’est qu’un début, car cette catégorie de médicaments devrait « déferler sur le marché au cours des dix prochaines années », prédit Patrick Errard. Christelle Ratignier-Carbonneil, directeur adjoint de l’offre de soins à la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM) en convient, le système est à repenser. Mais, à ses yeux, il existe aussi « une nécessité absolue de responsabilisation de chacun des acteurs ». Pour Pascal Brossard, président de l’AFIPA, la responsabilisation passe aussi par le recours aux médicaments OTC, source d’économies en évitant de nombreuses consultations médicales inutiles. On le voit, des pistes de réflexion existent. En attendant, le gouvernement a choisi de taper, une fois encore, sur le médicament remboursable, qui représente seulement 12 % des dépenses de Sécurité sociale, comme le rappelle l’économiste de la santé, Jean-Jacques Zambrowski.
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