Dans la nuit du 1er au 2 octobre 2020, Tende, commune de 2 200 habitants de l'arrière-pays niçois, a subi l'une des pires catastrophes naturelles que la France ait connue ces dernières années. Dans les vallées de la Roya et de La Vésubie, les plus durement touchées, 18 personnes ont perdu la vie. La tempête Alex et ses pluies diluviennes ont fait des centaines de sinistrés, qui ont vu leurs maisons détruites ou devenues inhabitables. Pendant des semaines, parfois des mois, des villages ont été coupés du monde. Alex a emporté avec elle des routes, des ponts, une ligne de chemin de fer… enclavant toute une région qui a rapidement pris conscience que la reconstruction prendrait des années.
En juin 2021, Tende a également perdu sa pharmacie, le titulaire ayant finalement fait le choix de ne pas rouvrir son établissement. Pendant des mois, c'est par hélicoptère, par train, puis par la Poste que les habitants ont pu recevoir leurs médicaments. Grâce à l'implication des professionnels de santé du secteur, les Tendasques (les habitants de Tende) n'ont manqué de rien en matière de santé. Alors que la perspective de voir un repreneur s'intéresser à la pharmacie de Tende demeurait très incertaine, il n'était toutefois plus question d'attendre. Il fallait absolument trouver une solution pour que les patients puissent de nouveau se rendre dans une officine proche de chez eux et s'entretenir de visu avec leur pharmacien.
Un projet rendu possible par l'article 51
Au fil des discussions entre chacune des parties impliquées, une idée a alors émergé : ouvrir une annexe de pharmacie. Un projet rendu possible par l'article 51 introduit par la loi de financement de la Sécurité sociale de 2018. Un dispositif qui permet d'expérimenter de nouvelles organisations en santé grâce à des modes de financement dérogatoires. « La CPTS de la Riviera française, qui couvre Tende et les communes de la Roya, était déjà impliquée dans une expérimentation IPEP (Incitation à prise en charge partagée), permise grâce à cet article 51, explique Kathleen Waeytens, coordinatrice de la CPTS. Les solutions mises en place provisoirement ont été très efficaces mais il manquait la dimension humaine incarnée par le pharmacien. Le fait que la CPTS ait été impliquée dans cette première expérimentation, avec le soutien de l'ARS de PACA, a donc contribué à débloquer les choses, sans cela il aurait été beaucoup plus difficile de mettre le projet en place », admet-elle.
L'ouverture de l'annexe de pharmacie suscite déjà beaucoup d'attente chez les habitants. « C'est un nouveau signe de la redynamisation de la vie de la commune », se félicite Kathleen Waeytens.
Deux ans d'expérimentation
Après plusieurs mois de discussions et de multiples étapes, le projet a été officiellement validé par l'ARS de PACA. Une annexe de pharmacie ouvrira à Tende sous l'égide d'une pharmacie-mère, l'officine de Breil-sur-Roya. Dirigée par Xavier Durif, cette pharmacie est la plus proche de celle de Tende, à 20 km et… 40 minutes de voiture, à cause des dégâts causés par la tempête sur le réseau routier. Comme mentionné par l'avis du Comité technique de l’innovation en santé (CTIS), qui a rendu un avis favorable à l'autorisation de l'expérimentation, le principe d'ouvrir une annexe a été validé car « le droit commun ne permet pas d’apporter de réponse » à la situation de Tende. Le financement sera assuré par le Fonds d'intervention régional, notamment pour prendre en charge le salaire du pharmacien recruté. Ce financement sera toutefois interrompu au bout d'un an si l'annexe est capable de s'autofinancer à cette échéance. Objectif à terme : que la pharmacie de Tende redevienne autonome.
En effet, comme l'annonce déjà l'avis du CTIS, la durée de l'expérimentation (2 ans donc) « laisse la possibilité à un pharmacien d’officine de se montrer intéressé par la création d’une licence de pharmacie à Tende ». L'expérimentation a été bordée de manière à éviter d'ouvrir une brèche dans laquelle pourraient s'engouffrer d'autres projets, aux desseins plus commerciaux. L'exemple de Tende sera en tout cas suivi avec grande attention. Les résultats qui y seront observés pourront en effet permettre d'envisager l'ouverture d’annexes dans d'autres lieux et dans d'autres contextes.
Un « laboratoire à ciel ouvert »
Il est désormais temps de trouver la perle rare : le pharmacien qui aura la responsabilité de l'annexe de Tende. « Le processus de recrutement est lancé, la fiche de poste sera bientôt disponible sur le site de l'ARS, confirme Cyril Colombani, président de l'Union des syndicats des pharmaciens d'officine (USPO) des Alpes-Maritimes. C'est la première fois qu'une annexe de pharmacie va être ouverte en France. L'expérimentation débutera quand le pharmacien recruté signera son contrat. Tende va devenir un laboratoire à ciel ouvert », s'enthousiasme Cyril Colombani.
C'est Xavier Durif, titulaire de la pharmacie-mère de Breil-sur-Roya, qui va recevoir les CV et choisir son futur collaborateur. « L'annexe sera tenue à tour de rôle par le pharmacien recruté, mon adjointe et moi-même, précise l'officinal. Il faut bien avoir en tête que ce ne sera pas une pharmacie à véritablement parler. Le but de cette annexe sera avant tout d'assurer la continuité des soins. Elle se trouvera dans un local d'environ 50 m2 et non dans les locaux de l'ancienne pharmacie. L'annexe sera normalement ouverte 35 heures par semaine. Il y aura un stock de médicaments pour répondre aux urgences, un comptoir… On sera sur le cœur du métier : traiter des ordonnances, délivrer les médicaments, discuter avec les patients, les conseiller et prendre en charge des maux sans gravité. »
Installé à Breil-sur-Roya depuis 2015, Xavier Durif a vu sa vie professionnelle chamboulée après le passage de la tempête Alex. Son officine a subi une perte de chiffre d'affaires de 20 % dans les mois qui ont suivi. Il a dû consacrer beaucoup de son temps à organiser l'approvisionnement en médicaments des habitants des communes de la Haute Roya en plus de doubler ses gardes. Il a également assumé à ses frais l'achat des meubles et du matériel informatique qui seront utilisés dans l'annexe de Tende et a déjà identifié plusieurs logements pour faciliter l'arrivée du pharmacien qui sera recruté… « La tempête a fragmenté la vallée en plusieurs îlots. À Tende le pharmacien ne pouvait plus se faire livrer, le grossiste n'y allait plus. La vallée est toujours en reconstruction même si les travaux avancent, mais rouvrir une pharmacie à Tende n'est pas viable à l'heure actuelle. Créer une annexe c'est une idée novatrice et épanouissante à titre personnel. Ma responsabilité, désormais, c'est de trouver la bonne personne pour mener à bien ce projet », explique Xavier Durif.
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