Le phénomène prend une ampleur inédite. Plus d'un tiers du chiffre d'affaires TVA à 2,1 % est aujourd'hui constitué par les médicaments de plus de 150 euros, 14 % par les médicaments d'un prix supérieur à 1930 euros. Un facteur de fragilisation de la marge globale qui ne cesse de s'accroître, le volume de ces médicaments dits « chers », mais peu rémunérateur de marge, ayant été multiplié par 4 au cours des cinq dernières années.
« Nous observons bien entendu également cette montée en puissance des médicaments chers au niveau de la répartition pharmaceutique CERP Rouen », déclare Joffrey Blondel, directeur financement et gestion de l’officine chez Astera/Cerp Rouen. Ce qui n'est pas sans inquiéter la profession. Car sur un chiffre d'affaires en croissance globale – médicaments chers aidant -, la marge en valeur risque de décrocher. Deux cas de figure émergent, selon Joffrey Blondel. Soit les médicaments chers sont en croissance dans un chiffre d'affaires qui bénéficie parallèlement de la poussée des autres médicaments. « Dans ce scenario, ils viennent renforcer la croissance du chiffre d'affaires, et il n'y a rien à craindre », commente-t-il. Soit les médicaments chers augmentent leur proportion au sein d'un chiffre d'affaires où la part des autres médicaments stagne, voire se réduit. Il y a alors tout lieu de s'inquiéter.
Ne pas négliger les nouvelles missions
Un principe de vase communicant contre lequel le titulaire a finalement peu de recours. Si ce n'est d'élargir sa clientèle afin de capter des prescriptions d'autres natures. Mais Joffrey Blondel ne bannit pas les médicaments « dits chers » et conseille même aux pharmaciens de mieux tirer parti des prescriptions en général. « En identifiant les trois ou quatre pathologies les plus génératrices d’ordonnances au sein de son officine, le pharmacien peut orienter son offre, proposer des produits de conseil associé médical, des soins de confort, ou encore du maintien à domicile », expose le directeur financement et gestion de l’officine d'Astera, qui dispose d'une filiale MAD, Oxypharm.
Ces nouvelles opportunités qui s'ouvrent au pharmacien sont une raison de plus, selon lui, pour ne pas négliger les nouvelles missions, et tout particulièrement les entretiens pharmaceutiques. Car ceux-ci permettent de renforcer les liens avec les patients. Les nouvelles missions, qui ne génèrent que 1 999 euros, soit 70 euros hors vaccination grippe, par pharmacie en moyenne, constituent un filon qui mérite d'être creusé. Ce sera même un passage obligé pour les pharmaciens qui voudront occuper le terrain en tant que professionnels de santé, prédit Joffrey Blondel, ajoutant que l'importance de ces nouvelles missions n'exonère en rien la profession de revendiquer une rémunération plus juste.
Une marge Covid supérieure à la MDL
Sur le volet de la rémunération, les honoraires en tant que piliers de la marge officinale puisqu'ils représentent 71 % de la marge du 2,1 % (hors Covid et remise), demandent à être eux aussi stabilisés. C'est tout particulièrement le cas des honoraires à la boîte, très exposés aux fluctuations des prescriptions. Les risques sont multiples de voir cette source de rémunération s'amenuiser d'année en année, dans un contexte de maîtrise des volumes de médicaments prescrits (300 millions d'euros au PLFSS pour 2024) et de domination des médicaments chers. Mais la grande inconnue reste la substitution de la marge générée par les activités Covid. Soit 77 103 euros en 2022 et bien davantage que la marge dégressive lissée (MDL) ! Certes, comme le souligne Joffrey Blondel, cette manne apportée par les TAG, la distribution des masques et la délivrance des vaccins Covid, a été exceptionnelle. « Elle a représenté du travail supplémentaire pour les officines, mais a également créé un effet d'aubaine puisqu'il a été ainsi possible de renforcer sa trésorerie », rappelle-t-il.
Il est aujourd'hui difficile de connaître exactement le montant de la marge retraitée hors Covid et d'atteindre une granularité permettant de déceler s'il y a eu ou non dégradation de la marge pendant cette période. Mais une chose apparaît d'ores et déjà comme certaine, « une marge en valeur étale, stagnant sous l'effet des médicaments chers, même si elle atteint un niveau similaire à celle des années précédant l'épidémie, ne sera plus suffisante pour couvrir la hausse des coûts engendrée par l'inflation. La rentabilité de l'officine sera alors en jeu », redoute Joffrey Blondel. Pour lui, l’élément clé de la rentabilité reste l'excédent brut d'exploitation (EBE) – en valeur - qui doit être amélioré de quelques milliers d'euros malgré l’érosion de la marge et l'augmentation des charges. Plusieurs pistes possibles : le conseil associé et le MAD. Les nouvelles missions peuvent être un bon relais. Améliorer son merchandising. Travailler l’interprofessionnalité et la digitalisation. Miser sur la santé au naturel, comme le propose notre groupement Santalis.
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