Mars 2020. Il y a tout juste un an, les pharmacies connaissaient des heures historiques. Affolés par l’avancée de l’épidémie, les Français se ruaient dans les officines pour renouveler leurs traitements et réclamer des masques. Des accessoires que les équipes officinales étaient bien en peine de délivrer puisqu’elles n’en avaient pas, ou qu’elles devaient réserver les rares exemplaires aux soignants. Au grand dam d’une population paniquée jusqu'à l'agressivité.
La gestion houleuse des masques ne fut que le premier épisode d’une longue série de coups de colère qui ont laissé des traces dans les statistiques des Conseils régionaux de l’Ordre (CROP). Jamais les signalements de patients à l’encontre de leur pharmacien n’ont été aussi fréquents que depuis le début de la crise sanitaire. Dans la plupart des régions, leur nombre a été multiplié par deux au cours de l’année écoulée. Ces chiffres — qui demandent à être consolidés au niveau national — traduisent de manière exponentielle la tendance observée depuis quelques années. Ainsi, en 2018, 22,1 % des recours disciplinaires avaient été engagés par des patients, contre 18 % un an auparavant.
Scénario à l’américaine
À titre d'exemple, parmi les 178 signalements parvenus au CROP des Hauts-de-France en 2020, 45 émanaient de particuliers, relève David Alapini, son président. « Nous en recevons au moins deux à trois par semaine, soit en moyenne dix par mois », constate de son côté René Paulus, président du CROP Grand Est. Chaque nouvel épisode de cette crise sanitaire a généré son lot de signalements : absence de port de masques par l’équipe officinale, manquements aux règles sanitaires dans les barnums dédiés aux tests antigéniques, affichage publicitaire pour ces tests à la boulangerie voisine, mais aussi refus de délivrance de vaccins contre la grippe quand ceux-ci vinrent à manquer. Certains particuliers n’hésitent pas même à se plaindre d’un pharmacien « peu aimable », quand d’autres signalements, plus fantaisistes, parviennent aux instances ordinales. « Comme ces habitants de l’immeuble qui se disent dérangés par la croix lumineuse de la pharmacie ! », note Franck Blandamour, président du CROP Normandie.
Et ces litanies ne risquent pas de cesser à l’approche de la vaccination contre le Covid en pharmacie. « Les pharmaciens sont en première ligne pour absorber le désespoir de la population », remarque Stéphane Pichon, président du CROP PACA. Dans le Grand Est, René Paulus voit aussi dans cette recrudescence de signalements une difficulté des patients à admettre que certaines mesures dérogatoires en vigueur pendant le premier confinement – telle le renouvellement des ordonnances - soient désormais levées. De manière générale, les CROP s’accordent à déplorer une « judiciarisation » de la société. Voire suggèrent l'influence des séries américaines où la recherche sous-jacente de dédommagements financiers n'est pas rare…
Privilégier la conciliation
De fait, il est aujourd’hui plus facile de se retourner contre son pharmacien en cas de mésentente, comme le souligne Stéphane Pichon, qui signale au passage la disparition récente du timbre fiscal autrefois nécessaire à tout dépôt de plainte. L’Ordre des pharmaciens a par ailleurs créé sur son site un espace spécialement dédié aux signalements. Une initiative à saluer dans le cadre de l’évolution des droits des patients. Les CROP traitent d’ailleurs sans distinction et de manière rigoureuse l’ensemble des signalements qui leur parviennent. Qu’ils émanent de particuliers, d’organismes payeurs, de professionnels de santé - y compris de confrères -, tous les dossiers sont instruits par les instances ordinales dans le même souci d'équité. Pourtant, regrette David Alapini, « les confrères sont souvent désabusés, ils ont l’impression que leur Ordre les juge, alors qu'en réalité, notre rôle consiste à considérer les faits, et rien que les faits, sans prendre parti ».
À réception d'un signalement, la première démarche du CROP sera de discerner celui qui relève d’un litige « commercial » (refus de tiers payant pour absence de droits, de couverture mutuelle…) du manquement déontologique manifeste. Dans ce dernier cas, le pharmacien incriminé est prévenu et interrogé, la réponse est transmise au patient tandis que la recherche de la conciliation est toujours privilégiée. Si la démarche du patient est justifiée, le pharmacien peut alors écoper d’un rappel à la réglementation. Du reste, peu de signalements de particuliers aboutissent à des plaintes, qui restent l’apanage des organismes payeurs, de l’ARS, voire d’autres pharmaciens.
Ces temps-ci, les CROP jouent d’autant plus leur rôle de médiateur et cherchent à temporiser que la profession traverse une période compliquée. « Je pense, analyse Bruno Maleine, président du CROP Ile-de-France, avec toutes les précautions oratoires d’usage, que les pharmaciens sont fatigués par cette année écoulée, ils sont malmenés par des textes et une réglementation en constante évolution. Ils sont eux-mêmes touchés par cette crise, avec des équipes incomplètes. Tout le monde est excédé. Alors oui, il leur arrive d'atteindre la saturation quand, pour la cinquantième fois de la journée, on leur lance « nous allons mourir à cause de vous », parce qu’ils n’ont pas de vaccin… ».
Enfin, si elles savent faire preuve de discernement, les instances ordinales n’en demeurent pas moins implacables. Et la chambre disciplinaire n’est jamais loin en cas d’infractions graves. Ainsi, les présidents des CROP n’hésitent pas à s’autosaisir en présence de signalements de patients qu’ils estiment recevables. Cependant, face aux difficultés de la situation actuelle, les CROP tiennent à rappeler aux confrères qu'ils sont avant tout à leur écoute. Car, comme le résume Stéphane Pichon, « dans Conseil de l’Ordre, il y a le conseil avant l’ordre, le soutien avant la discipline ! »
Dispensation du médicament
Tramadol et codéine sur ordonnance sécurisée : mesure reportée !
Formation continue
Transmission automatique des actions de DPC : les démarches à faire avant le 30 novembre
Relocalisation industrielle
Gel des prix sur le paracétamol pendant 2 ans : pourquoi, pour qui ?
Salon des maires
Trois axes d’action pour lutter contre les violences à l’officine