RAPPELONS d’abord qu’avant de mettre un produit sur le marché, tout fabricant de cosmétiques a une obligation, celle qui consiste à s’assurer qu’il ne risque pas de nuire à la santé humaine et qu’il est bien toléré par la peau. Pour ce faire, il doit donc faire tester ses produits, pour contrôler notamment leur potentiel irritatif ou toxique.
La directive européenne 76/768/CEE ayant programmé l’interdiction progressive des tests sur les animaux, il était devenu indispensable de développer d’autres méthodes, dites alternatives « in vitro », scientifiquement validées. Le 11 septembre 2004 est en effet entrée en vigueur l’interdiction de l’emploi d’animaux pour tester les produits cosmétiques finis, et le 11 mars 2009 celle concernant les ingrédients. Une exception concerne néanmoins la détermination de la toxicité à doses répétées, la toxicité vis-à-vis de la reproduction et la sensibilisation, dont l’échéance a été reportée jusqu’au 11 mars 2013. Les tests alternatifs sont validés par l’ECVAM, le Centre européen pour la validation des méthodes alternatives.
Qu’est-ce qu’une peau « normale » ?
D’un point de vue histologique et anatomique, la peau comprend trois couches principales stratifiées, en allant de l’extérieur vers l’intérieur :
- L’épiderme : représentant la principale barrière de protection contre les atteintes extérieures, il se compose de quatre couches, la plus interne étant la couche basale (stratum germinativum), puis vient la couche de Malpighie ou couche épineuse (stratum spinosum), la couche granuleuse (stratum granulosum) et enfin, la couche cutanée (stratum corneum). 90 % des cellules sont des kératinocytes, 5 % des mélanocytes (ils fabriquent de la mélanine qu’ils transfèrent aux kératinocytes) et 5 % des cellules de Langerhans (cellules présentatrices d’antigènes aux lymphocytes), qui font partie du système immunitaire.
- Le derme : tissu fibreux et élastique, conjonctif dense, le derme représente le support solide de la peau. Il est constitué de fibres de collagène, d’élastine et de protéoglycanes, substances synthétisées par les fibroblastes.
- L’hypoderme : séparant le derme des muscles sous-jacents, il est constitué d’adipocytes, lieu de stockage des lipides. Il amortit les chocs, protège l’organisme contre des variations thermiques et constitue une réserve nutritionnelle.
Il faut bien entendu y ajouter les annexes cutanées : glandes sudoripares ou sébacées, poils et ongles.
Le BA, BA de l’ingénierie tissulaire des « peaux reconstituées ».
Les premières tentatives de cultures de kératinocytes remontent aux années soixante, mais le processus se limitait alors à l’obtention de 2 ou 3 couches de cellules incomplètement différenciées. Il faudra attendre 1975 pour que l’on réussisse des cultures en série de kératinocytes sur une trame de fibroblastes, qui ont représenté les premiers substituts d’épiderme reconstitués. La fin des années soixante-dix a vu l’adjonction d’une couche cornée superficielle, puis les progrès continuèrent avec des modèles intégrant des mélanocytes (permettant d’étudier la pigmentation et les effets des rayons UV en fonction du phénotype du donneur), puis des cellules de Langerhans.
Véritables pionniers en ce domaine, les chercheurs de L’Oréal, en collaboration avec le CNRS, ont réussi en 2001 à développer un modèle de peau reconstruite présentant les caractéristiques du Xeroderma Pigmentosum (une maladie rare d’origine génétique caractérisée par l’impossibilité de réparer l’ADN des cellules altéré par le rayonnement UV) et en 2004 à élaborer un modèle de peau âgée avec un derme glyqué (la glycation participe à la diminution de l’élasticité), en incubant le derme avec du ribose.
En pratique, la peau est reconstruite à partir d’un prélèvement de peau réalisé sur des volontaires (le plus souvent à l’occasion d’une plastie des seins ou de l’abdomen), les kératinocytes sont isolés puis mis en culture sur un derme inerte de-épidermisé conservant sa membrane basale, en présence de substances les incitant à se multiplier ; on peut y intégrer aussi des mélanocytes et des cellules de Langerhans qui demeurent fonctionnels. L’émersion de la culture à l’air libre induit la différenciation verticale des kératinocytes, qui vont former la couche cornée. Dans le cas d’Episkin, la phase d’immersion dure 3 jours et celle d’émersion 10 jours.
De 1 à 4 semaines pour fabriquer un kit.
L’ensemble du processus, aujourd’hui disponible en kits, demande entre une semaine et un mois. Selon les besoins, la peau peut être reconstruite à partir d’un seul donneur (avec ses caractéristiques spécifiques en termes d’âge ou d’origine ethnique) ou d’un « pool » de donneurs pour obtenir un modèle standardisé.
Les analyses montrent que ces modèles d’épiderme sur un équivalent dermique présentent à la fois les propriétés d’un épiderme humain mais aussi celles d’un derme fonctionnel.
Deux modèles, Episkin et SkinEthic, développés par L’Oréal ont été validés par l’ECVAM comme alternative aux tests sur animaux pour la détermination de l’irritation et de la corrosion cutanée. L’Oréal produit annuellement de l’ordre de 150 000 unités de peau reconstruites.
Le modèle Episkin semble également prometteur pour évaluer in vitro la pénétration et l’absorption percutanée des produits topiques et a été utilisé pour détecter le potentiel phototoxique de plusieurs produits chimiques.
Des limites en passe d’être repoussées ?
Signalons également que la société MatTek a développé le modèle EpiDerm, également validé par l’ECVAM.
Au total, ces modèles de peaux reconstituées permettent non seulement de tester les substances les plus diverses et des produits finis, du point de vue de la tolérance, de comprendre les effets du soleil, d’évaluer l’efficacité des filtres solaires, de cribler des substances « anti-âge », mais aussi d’étudier la physiologie cutanée, tant dans des situations où la peau est saine que pathologique.
Pour utiles qu’ils soient d’ores et déjà, ces modèles ne sont pas pour autant parfaits ; c’est ainsi, par exemple,qu’ils sont encore dénués de poils. Mais faisons confiance à l’ingéniosité des chercheurs pour franchir bientôt de nouvelles étapes. C’est ainsi qu’on nous annonce déjà pour le futur l’intégration de cellules nerveuses, pour simuler les phénomènes de démangeaison et de cellules endothéliales pour mimer des vaisseaux sanguins !
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