Une expérimentation de télémédecine menée en mars dernier dans une pharmacie mutualiste à Roanne a recueilli l’attention de plusieurs médias. Elle a consisté en l’installation d’une cabine high-tech, Consult Station, créée par la société H4D, qui permettait aux patients de prendre des mesures grâce à différents instruments et d’avoir le cas échéant une téléconsultation. Objectif : voir comment il est possible de soulager les médecins dans une région confrontée à la désertification médicale.
L’écho donné à cette initiative a au moins permis de déclencher un débat, fort opportun pour ce qui concerne l’usage de la télémédecine dans les déserts médicaux. Et de placer le pharmacien là où il doit être, à un maillon clé du parcours de soins des patients. Ce qui n’était pas une évidence. Quand la loi HPST* a été votée et que le décret d’application relatif à l’exercice de la télémédecine est entré en vigueur en 2010, il n’était même pas fait mention du pharmacien comme professionnel de santé susceptible de prendre part, et à sa juste place, aux process liés à la télémédecine. L’oubli a été corrigé depuis, une évidence tant les pharmaciens représentent un atout important face au délicat sujet de la désertification médicale. « Ils ont la confiance des patients et composent un maillage unique en France », plaide François Teboul, directeur médical de Visiomed.
Trouver le bon modèle
Mais c’est seulement depuis peu que l’ensemble des participants aux parcours de soins des patients est concerné par les initiatives de télémédecine qui fleurissent désormais. Longtemps des problématiques techniques, disposer des bonnes infrastructures, et surtout financières ont conduit les acteurs de la télémédecine à centrer leurs efforts sur les médecins. Logique imparable, sans eux, il n’y a pas de télémédecine possible. D’où la volonté de créer un environnement idoine afin d’impliquer les médecins de la meilleure des façons. La réglementation relativement contraignante (voir encadré) ne permet pas tout, mais les ARS sont attentives et « ont permis de débloquer certaines situations », selon François Lescure, Président de Médecin Direct. Les différentes initiatives qui ont été lancées ont été fortement marquées par ces contraintes, et ont tâtonné afin de trouver, sinon le modèle idéal, en tout cas un système de télémédecine viable. La contrainte financière a modelé ces initiatives : en l’absence de règles claires dans le domaine de la rémunération des acteurs de la télémédecine (règles qui ont cependant été précisées par la loi de finances 2017, voir encadré), il a bien fallu trouver des solutions.
Médecin Direct a fait ainsi le choix de travailler avec les mutuelles complémentaires santé, de telle sorte que le patient inscrit aux mutuelles partenaires de l’entreprise puisse bénéficier gratuitement de la plateforme de télémédecine qu’elle a créée. Trois millions de personnes sont concernées, selon François Lescure. Les pharmaciens sont susceptibles de représenter un intermédiaire entre le patient et la plateforme. « Dans les déserts médicaux, ils nous contactent régulièrement pour pouvoir bénéficier des services de notre plateforme afin de pallier l’absence de médecins », précise le Président de Médecin Direct. Une telle implication des pharmaciens permet de traiter une partie importante des problématiques, ajoute-t-il, celles des pathologies susceptibles d’être concernées par la téléconsultation selon la loi. Le pharmacien peut notamment aider le patient à formuler sa demande. Mais au-delà de ces cas précis dictés par les pathologies, les patients peuvent également consulter cette plateforme pour avoir un avis médical complémentaire, ou pour avoir une interprétation des données issues d’un examen biologique.
Du temps pour un meilleur suivi
Autre aventure de télémédecine, celle de My Diabby, une plateforme lancée par la start-up Be4life, dédiée au diabète, et plus précisément, au diabète gestationnel. « Nous avons voulu faire gagner du temps aux patientes, leur diabétologue et les services de maternité qui les suivent », raconte Pierre-Camille Altman, président fondateur de la société. « Notre objectif était d’optimiser le parcours des patientes, en les reliant à leurs thérapeutes habituels en cas de besoins, pour une question sur une glycémie par exemple, des consultations qui n’étaient pas nécessaires sont ainsi supprimées au profit d’un temps dégagé pour un meilleur suivi », explique-t-il.
La plateforme, qui vient de s’ouvrir au diabète de type 1 et 2, a été financée au fur et à mesure, grâce à des partenariats avec des laboratoires, notamment le laboratoire Lilly, qui apporte bien plus que son logo à My Diabby. « Nous avons voulu nous dégager d’emblée de la question du business model afin de travailler sur la création de valeur, en nous trouvant différentes opportunités de financement qui nous permettent de proposer aux patients et aux équipes médicales cette plateforme gratuitement », ajoute Pierre-Camille Altman. Le jeune président attend beaucoup des décrets d’application qui devraient permettre de rémunérer les acteurs de la télémédecine pour poser les bases d’un vrai business model autour de sa plateforme, laquelle s’adresse à l’ensemble des professionnels de santé, y compris les pharmaciens, même si, dans les faits pour l’instant, aucun n’a franchi le pas.
Augmenter le panier moyen
Autre offre de télémédecine fort différente, celle de Pharma Clinic qui, elle, s’adresse d’emblée aux pharmaciens et se base sur un business model précis. Pharma Clinic propose d’organiser des téléconsultations dans un espace dédié en officine, avec tous les outils de communication et de mesures nécessaires, des objets de santé connectés, en général des marques accréditées par des hôpitaux, de façon à pouvoir interagir avec le plateau de télémédecine géré par la société H2AD avec laquelle Pharma Clinic a conclu un partenariat. Cette offre dispose d’une grille de tarifs précise (voir tableau ci-contre), un peu onéreuse, reconnaît Xavier Bouhet le dirigeant fondateur de la société. « Mais l’investissement représente peu au regard du chiffre d’affaires généré par cette activité de téléconsultation », estime-t-il. La société cible d’abord l’hypertension et le diabète qui, à elles deux, peuvent représenter jusqu’à 30 % du chiffre d’affaires de certaines pharmacies. En apportant conseils et produits complémentaires autour de la téléconsultation, les pharmaciens peuvent augmenter sensiblement le panier moyen des patients touchés par ces pathologies. « Le retour sur investissement peut se faire en quatre mois », promet Xavier Bouhet. Ce modèle de rentabilité est, faut-il préciser, le seul actuellement viable pour les pharmaciens qui seraient tentés par la télémédecine. L’application Pharma Clinic est actuellement en test dans plusieurs officines, avec des retours d’expérience favorables, notamment quant au dépistage de l’hypertension, évoque le dirigeant.
S’adresser au plus grand nombre
C’est aussi sur la base de ce raisonnement que Visiomed a lancé une station de télémédecine, dédiée, elle, à tous les professionnels de santé participant au parcours de soins des patients. Le spécialiste des objets de santé connectés n’est pas un nouveau venu dans le domaine de la télémédecine, l’entreprise a déjà une expérience des solutions visant à pratiquer de la téléconsultation dans un cadre médical, utilisées par exemple par SOS Médecins ou expérimentées en milieu hospitalier. Sa nouvelle station de télémédecine, Visiocheck, est une sorte de tout-en-un qui tient un minimum de place. La station elle-même a la forme d’un smartphone, il faut y ajouter les outils connectés complémentaires à son usage, un tensiomètre brassard, un électrocardiogramme, un oxymètre de pouls, un glucomètre. Visiomed entend ainsi s’adresser au plus grand nombre, établissements de santé de toutes sortes, professionnels de santé, mais aussi assureurs, assisteurs et grandes entreprises, susceptibles d’être reliés à une plate-forme médicale si nécessaire.
Elle imagine volontiers l’usage de sa nouvelle solution pour les plans de soins à domicile, les situations d’urgence ou le suivi médical, notamment dans des zones de désertification. La station est un exemple de miniaturisation puisqu’elle ne pèse que 300 grammes et tient dans la main, mais pour François Teboul, l’enjeu de la télémédecine est plus dans l’organisation de l’officine que la technologie elle-même, qui du reste surfe sur les performances des smartphones et des structures de communication et d’hébergement. À titre d’exemple, on peut évoquer la solution Healp lancée par la société Webbe, de la télémédecine pour les bobos du quotidien (voir le Quotidien du Pharmacien du 6 juin dernier). Peut-être le seul prérequis à ces différentes technologies de télémédecine est le cas échéant de s’assurer d’une bonne infrastructure de télécommunications pour que les ondes passent bien. L’organisation, c’est d’abord assurer un espace dédié, celui consacré à la confidentialité, voire à l’orthopédie, suffit. C’est aussi dégager du temps à consacrer aux patients. Les pharmaciens ont manifesté peu d’intérêt jusqu’à présent pour la télémédecine, ce qui est plutôt normal, tant que des solutions intéressantes n’étaient pas disponibles. Cela commence à être le cas et elles pourraient séduire les pharmacies qui se sont déjà spécialisées sur certaines pathologies et renforcer ainsi leur place dans le parcours de soins de leurs patients. Quelque 7 à 10 % des pharmacies pourraient être concernées selon François Teboul. « J’espère juste que la forte inertie qu’on observe dans de nombreuses pharmacies ne les empêchera pas de jouer leur rôle dans la télémédecine de demain », note-t-il.
* Hôpital Patients Santé et Territoires.
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