Deux textes officiels sont venus préciser les contours de la dématérialisation des services au comptoir à la fin de l’année 2020.
Le premier est un décret publié le 14 octobre dernier prorogeant de douze mois l’expérimentation de l’appli carte Vitale dans le Rhône et les Alpes-Maritimes, jusqu’à fin 2021 donc. Le second est une ordonnance publiée le 19 novembre dernier qui autorise la généralisation de la e-prescription pour au plus tard le 31 décembre 2024. Dans les deux cas, ces textes officiels confirment l’engagement des autorités publiques dans la dématérialisation de la carte Vitale et de l’ordonnance, mais dans les deux cas aussi, ils illustrent le retard pris dans ces projets qui auraient dû entrer en vigueur plus tôt. À leur décharge, et à celle de l’ensemble des acteurs concernés, la crise sanitaire du Covid, si elle a accéléré certaines évolutions technologiques comme la téléconsultation, en a ralenti d’autres, et notamment la dématérialisation de ces services. Mais cette crise n’est pas seule responsable de ce retard. Celui-ci est aussi le résultat des difficultés pratiques rencontrées sur le terrain. Et peut-être faut-il craindre également le manque de perspectives sous-jacent à cette réglementation qui finalement s’engage sur la dématérialisation de façon morcelée, inhibant ainsi les initiatives pour harmoniser ce qui pourrait être le socle d’un espace de santé virtuel pour les patients. Alors même que c’est l’objectif affirmé des autorités publiques, en tout cas celui affiché par le chantier « Ma Santé 2022 ».
Le cadre légal en question
La e-prescription est, en résumé, un standard officiel pour intégrer l’ordonnance dans un QR Code flashé par le pharmacien, avec un accès à une base de données centralisée et anonymisée de l’assurance-maladie. Celle-ci précise que « tout éditeur doit développer la e-prescription à partir d’un cahier des charges spécifique et se faire autoriser par le CNDA (centre national de dépôt et d’agrément) », rappelle-t-on au sein de l’administration. Un vrai standard donc mais limité à une dématérialisation partielle. Pour Sébastien Bonnet, dirigeant de la société Mon Ordo, « l’ambition de l’assurance-maladie est de lutter avant tout contre la fraude des ordonnances, mais elle ne conduit pas à l’optimisation des services susceptibles d’être générés par la dématérialisation des ordonnances ».
Certains acteurs estiment nécessaire une évolution réglementaire sous la forme, pourquoi pas, d’un cadre légal parallèle autorisant l’ordonnance totalement dématérialisée, c’est du moins ce qu’espère Guillaume Gobert, fondateur et dirigeant de la société Ordoclic. Ce second cadre permettrait ainsi de développer des services complémentaires, le suivi de délivrance, la signature électronique etc… Mais la CNAM n’a ni confirmé ni infirmé l’arrivée prochaine d’un tel cadre légal.
L’ergonomie pour surmonter les difficultés d’usage
Les entreprises qui travaillent sur le sujet de la e-prescription l’envisagent comme une porte d’entrée pour des fonctionnalités susceptibles de créer une fluidité de services au bénéfice du patient. C’est ce que font les deux start-up Ordoclic et Mon Ordo. C’est aussi ce qu’espèrent les entreprises qui se sont investies dans la dématérialisation de la carte Vitale. La CNAM a prévu une application mobile, l’appli carte Vitale, capable d’identifier de façon numérique les usagers du système de santé et les données de leur carte Vitale. Peu d’acteurs se sont toutefois lancés sur ce chemin, il est vrai qu’il n’y a pas urgence puisqu’elle ne sera utilisable qu’à partir de 2022, au plus tôt. Pharmaland est le premier éditeur de LGO à s’être lancé dans l’aventure de l’appli carte Vitale. « Nous avons préféré commencer par la carte Vitale plutôt que la e-prescription dans la mesure où celle-ci fait intervenir les médecins, ce qui de fait rallonge les délais », commente William Le Bellego, président de l’éditeur. Toujours en test, cette application génère un QR Code qui sera scanné par un lecteur 2D ou par un lecteur NFC (une puce radio-fréquence contenue dans les smartphones). Ce qui va nécessiter de travailler sur une certaine ergonomie. « Autant il est facile de donner sa carte Vitale à l’équipe officinale, autant il ne l’est pas de donner son téléphone mobile, explique William Le Bellego, de plus, actuellement, le lecteur se trouve du côté comptoir, et non vers le patient. »
Du côté de la e-prescription, les expérimentations menées dans trois départements, le Val-de-Marne, la Saône-et-Loire et le Maine-et-Loire, révèlent aussi quelques difficultés d’usage. « Nous constatons que pour l’instant le flux n’est pas énorme, et par ailleurs, les pharmaciens mettent un peu plus de temps à l’utiliser que dans le cas d’une ordonnance papier », explique Camille Girard, responsable marketing de Winpharma. De même, « les pharmaciens ont l’habitude d’avoir l’ordonnance dans les mains quand ils vont chercher les médicaments, souligne Guillaume Gobert. Le nouveau parcours n’est pas encore bien balisé. »
Le temps que l’on parvienne à surmonter ces difficultés d’usage permettra peut-être aux prestataires de concevoir des applications qui fluidifieront tous ces services au comptoir. On imagine mal en effet plusieurs applications différentes et morcelées, il y a encore du pain sur la planche, estime ainsi William Le Bellego, qui attend notamment beaucoup des groupements lesquels devraient développer des applications susceptibles d’en regrouper plusieurs et en faciliter ainsi l’usage. « Nous n’en sommes qu’aux débuts, beaucoup de choses vont s’inventer », prédit-il.
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