Entretien avec Bertrand Bolduc, président de l’Ordre du Québec

L’acte pharmaceutique, version québécoise

Publié le 30/11/2015
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Souvent cités en modèles, nos confrères Québécois ont notamment ouvert la voie à l’opinion pharmaceutique et pratiquent, plus globalement, un exercice original de la pharmacie d’officine. En juin dernier, une nouvelle loi - la loi 41 - est entrée en vigueur au Québec. Bertrand Bolduc, président de l’Ordre des pharmaciens de la belle province explique au « Quotidien » comment ce nouveau cadre réglementaire donne un second souffle à l’acte pharmaceutique version québécoise.

LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN.- La loi 41 est entrée en vigueur le 20 juin dernier. Celle-ci autorise notamment le pharmacien à ajuster le dosage et la posologie en vue d’atteindre des cibles thérapeutiques. Quelles sont les cibles visées ?

BERTRAND BOLDUC.- Il peut s’agir de l’hypertension artérielle, avec les valeurs cibles bien connues, du diabète (de type 1 ou 2), avec des cibles concernant par exemple l’hémoglobine glyquée, du cholestérol ou de l’hypothyroïdie… À partir d’aujourd’hui, le défi est d’atteindre ces cibles-là. Mais au-delà de ces cibles, il faut analyser la loi 41 dans une démarche plus globale qui consiste avant tout pour le ministère de la santé à dégager du temps pour le médecin. Chez nous ce n’est pas comme en France, accéder à son médecin de famille pour un problème bénin, c’est extrêmement difficile. L’objectif est donc de retirer aux médecins un certain nombre d’indications mineures, ou plus banales, qui ne nécessitent pas de diagnostic et peuvent être prises en charge par les pharmaciens. La prévention du paludisme et des gastro-entérites avant un voyage, la supplémentation prénatale ou traitement de la nausée chez la femme enceinte, sont quelques-unes de ces indications.

Comment s’est passée la mise en place de ces nouveaux actes ?

Il y a eu un petit délai nécessaire à la mise à jour des logiciels qui devaient notamment intégrer les honoraires relatifs à ces actes. Mais on peut dire que depuis la mi-août, c’est opérationnel dans la plupart des officines.

Parce que les pharmaciens sont rémunérés pour ces missions ?

Pour certaines, oui. C’est un point qui n’est pas négocié par l’Ordre mais par le syndicat, en l’occurrence le syndicat des pharmaciens propriétaires. Celui-ci a obtenu une rémunération pour 4 activités sur 7. Au Québec, l’assurance médicament est fournie par l’employeur, mais si vous n’avez pas d’employeur, vous devez être assuré par le système public et y cotiser. Ce qu’il faut souligner, c’est que les activités du pharmacien sont remboursées dans le cadre de l’assurance médicament et non pas de l’assurance-maladie. Problème, si vous allez chez le médecin, cela ne coûte rien, si vous allez voir le pharmacien il y a une contribution à son honoraire. Voilà un point que nous tentons actuellement d’expliquer aux gens. Il faut que tout ce qui est actuellement couvert par l’assurance médicament publique soit également couvert par l’assurance médicament privée. Mais finalement, ni le public, ni les assureurs ne font obstacles à ces évolutions. Les quatre activités prises en charges sont : l’ajustement posologique, les situations sans diagnostic, les conditions (indications, en Français) mineures et la prolongation d’ordonnance. En ce qui concerne la prolongation, l’honoraire n’est perçu qu’au-delà de 30 jours de renouvellement. En dessous, on a essentiellement légalisé et simplifié le « dépannage ».

La prescription de médicaments par le pharmacien, hors diagnostic (ou quand celui-ci est connu), est également prévue. Quels sont les médicaments concernés par cette mesure ?

Le sevrage tabagique, par exemple, notamment tous les timbres transdermiques et autres gommes à la nicotine. Seul le Champix ne peut pas être prescrit par le pharmacien.

Ces activités nécessitent-elles une formation dédiée ?

Il n’y a pas de formation clinique supplémentaire. Tous les pharmaciens sont supposés détenir la somme de compétences pour accomplir ces missions. En revanche, nous avons créé un site Web, loi41.com, sur lequel nous mettons en ligne tous les algorithmes de décision utiles aux officinaux qui leur fournissent les lignes directrices dans diverses situations de comptoir. Cet outil a été conçu en commun par l’association des pharmaciens propriétaires et l’Ordre et qui a reçu le soutien financier de l’association des chaînes et bannières en pharmacie. Il sera bientôt transféré aux universités qui auront pour charge de le mettre à jour.

Comment les patients perçoivent-ils ces nouveaux rôles du pharmacien ?

Très bien. Je dois avouer qu’au tout début nous n’avons pas beaucoup communiqué sur ces nouveautés. Notamment parce que les outils informatiques n’étaient pas tout à fait prêts. Après avoir communiqué a minima, nous commençons aujourd’hui à communiquer par le biais d’une campagne sur les réseaux sociaux. Mais le public n’était pas tout à fait ignorant car la demande vient de lui, du fait du manque d’accès aux cabinets médicaux.

Comment les médecins ont réagi à l’arrivée de la loi 41 ?

Pharmaciens, médecins et infirmières ont l’habitude de travailler ensemble, et c’est ainsi qu’est née la loi 41. Pourtant, au début du projet, nous avons quelques réticences de médecins du type : « je ne veux pas que le pharmacien prolonge (renouvelle, N.D.L.R.) mon ordonnance ». Ce qui nous a fait prévoir la mention « prolongation interdite » sur les prescriptions. Je pense que nous trouverons très rarement cette mention sur les ordonnances car celle-ci engage le médecin à être disponible.

L’accord interprofessionnel est selon vous indispensable à la bonne prise en charge du patient ?

Pour nous, il est indispensable. On est arrivé au point où les économies dans le système de santé ne peuvent être atteintes que si on utilise chaque professionnel à son maximum.

D’autres futures missions sont-elles dans les tuyaux pour les pharmaciens québécois ?

La prochaine mission sera la vaccination. Pour l’heure nous ne pouvons administrer des vaccins qu’à des fins de démonstration. Ce sera bientôt à des fins de démonstration ou de vaccination. Tous les feux sont au vert pour que cette évolution aboutisse. Ceci étant dit, la plupart des pharmacies emploient déjà une infirmière à temps plein ou partiel.

Deux études publiées récemment au Canada (Alberta), objectivent l’efficacité clinique de la dé-prescription par les pharmaciens. Cette activité va-t-elle rejoindre celles déjà opérées par le pharmacien ?

Pour l’heure, au Québec, un pharmacien ne peut pas arrêter un traitement de son propre chef. Il doit consulter le médecin et en discuter avec lui. La seule situation où le pharmacien est autorisé - et rémunéré - pour suggérer la dé-prescription, est prévue dans le cadre de l’opinion pharmaceutique. Actuellement, seuls les médecins spécialistes sollicités par un pharmacien en vue de l’arrêt d’un traitement, perçoivent un honoraire. Moi, je rêve qu’un honoraire soit perçu à la fois par le pharmacien et par le médecin généraliste engagés dans cette démarche. C’est seulement ainsi qu’on obtiendra des économies et qu’on optimisera les traitements. La pharmacie doit évoluer, non pas pour donner plus de médicaments, mais pour donner mieux les médicaments.

Propos recueillis par Didier Doukhan

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3221