- L'autre solution serait de fusionner, avec vous par exemple…
La déléguée pharmaceutique laisse volontairement sa déclaration en suspens, guettant une réaction.
- Comment ça fusionner avec nous ?
- Vous êtes à moins de 1 km l'une de l'autre, et j'ai cru comprendre que M. Pontignac était intéressé, il y a quelques années, pour que les deux officines ne fassent plus qu'une. C'était avant qu'il ne s'associe avec Mme Dupré. Ça ne s'était pas fait, aucun accord n'avait été trouvé, semble-t-il. Mais peut-être que ce projet va pouvoir voir le jour, maintenant que M. Thomas est prêt à vendre, explique Magali R d'un air détaché.
- Je suis sûr que si c'était le cas, Karine nous en aurait parlé, répond sèchement Juliette.
- Mais je ne dis pas que ça va se faire ; je dis juste que c'est une éventualité et que M. Thomas y réfléchit d'ailleurs.
- Donc, s'il y réfléchit, ça signifie qu'une proposition a été faite dans ce sens, pense tout haut Christèle. Il faudra qu'on en parle à Marilyne ; elle est au courant de tout ce qu'il se passe dans la commune.
- Nous n'avons pas à le savoir déjà. Si les négociations débutent juste, ça ne sert à rien de nous mettre au courant. D'autant plus que tout cela est très incertain, l'interrompt Julien.
Juliette se crispe de plus en plus face au comportement de la déléguée pharmaceutique. Cette dernière semble prendre un malin plaisir à provoquer l'adjointe.
- Moi, je prends bientôt ma retraite. Alors toutes ces histoires… Mais quand même, c'est bien les pharmaciens de racheter ou vendre, sans se soucier du personnel !, s'agace Nicole Bertin.
- Oui, enfin, la retraite, elle n'est pas pour tout de suite. Tu n'as que 58 ans. S'il y a fusion, elle se fera dans les mois à venir.
N'attendant pas la réponse, Juliette quitte le petit groupe pour retourner au comptoir, où une mère et sa fille viennent de se présenter. Julien en fait autant, rappelant à Christèle avant de s'éloigner :
- Chris, est-ce que tu as réussi à joindre la hotline du LGO ? J'aimerais bien savoir à partir de quand la mise à jour nous permettra de faire la dispensation adaptée et de tracer notre intervention avec le code DAD. Ça fait déjà deux semaines que c'est officiel, et ce n'est toujours pas possible avec notre logiciel. Si tu veux, je m'en occupe ?
- Non, laisse, je m'en charge. Ils doivent me rappeler cet après-midi normalement.
Julien se retrouve face à un jeune homme. Âgé d'une vingtaine d'années, le garçon inspire la sympathie et Julien a comme l'impression de se retrouver face à lui-même, tant son interlocuteur lui ressemble. Ce dernier lui tend une ordonnance d'aprépitant et de corticoïde.
- Je ne supporte pas ces séances de chimio, souffle le jeune patient avec un large sourire.
- Vous êtes traité pour un cancer ? s'étonne Julien avant de se rendre compte que sa question était totalement ridicule.
- Testicule. On m'a déjà opéré, et maintenant, séances de chimio. C'est con. À notre âge, on a envie d'autre chose, vous croyez pas ? Vous avez une copine ?
- Oui, répond le jeune pharmacien.
- Moi aussi. Et ce qui détruit le plus, c'est d'avoir à lui faire supporter tout ça, à 25 ans. Quel avenir ça nous donne, hein ?
- C'est une sacrée épreuve. Mais on s'en sort, croyez-moi. Et la vie reprend ses droits, répond sans hésiter Julien.
(À suivre…)