- Si on m'avait dit qu'un jour, on monterait un barnum sur le parking…
Par la fenêtre du bureau, Élisabeth Pontignac regarde l'installation provisoire destinée à accueillir les personnes souhaitant se faire tester. L'ancienne titulaire de la pharmacie du Marché, et mère de J-C, n'est pas une femme qui montre ses sentiments. Ni nostalgique de la pharmacie d'avant le tiers payant, ni avant-gardiste, elle a toujours suivi l'évolution de l'exercice avec la prudence qui caractérise tant de ses confrères et consœurs. Aujourd'hui pourtant, on entend dans ses propos une pointe de scepticisme. À moins que ce ne soit un regret, pour cette pharmacienne d'officine qui voulait être biologiste…
- Si ça n'avait tenu qu'à moi, maman, on ne se serait pas lancé dans cette aventure. C'est de la folie. Mais j'admets que Karine sait parfaitement gérer l'urgence. Et puis, ça aide d'être pharmacienne et élue au conseil municipal.
- Et le comptoir ? Comment allez-vous faire pour assurer les tests sans que ce ne soit au détriment des dispensations ? C'est tout de même le cœur de notre métier, n'en déplaise à certains.
- Nous avons demandé à Théo, notre étudiant, de venir en renfort. Et Nicole Bertin a accepté de venir un peu plus. Et puis, il y a toujours Jean-Paul, votre petit protégé…, intervient Karine avec une pointe d'agacement.
- Je vois. Je vous souhaite bien du courage, répond la pharmacienne retraitée sèchement. J-C, tu m'apporteras les médicaments de ton père ce soir ? Je dois y aller.
Tandis qu'Élisabeth Pontignac sort de la pharmacie par la porte de service, elle croise le Dr Breton, qui vient en curieux découvrir le dispositif de dépistage mis en place par la Pharmacie du Marché.
- Bonjour Madame Pontignac. Impressionnant comme installation, n'est-ce pas ?
La pharmacienne retraitée le salue, mais ne s'éternise pas.
- On verra ce que ça donnera. Bonne journée, Frédéric.
- Elle n'a pas l'air très enthousiaste, dit le médecin à Karine qui l'a rejoint sur le parking.
- Qu'est-ce que tu veux, elle ne comprend pas l'évolution du métier. Le problème, c'est que même à la retraite, elle influence toujours son fils. Mais j'ai des arguments, sourit Karine. Je te fais visiter ?
La titulaire fait entrer le Dr Breton sous le barnum, meublé de manière simple mais efficace : un fauteuil, une table pour accueillir le matériel, des minuteurs, un carton d'EPI et un sac pour déposer les équipements souillés, un tapis pour étendre les personnes en cas de malaise vagal… Julien s'active à déposer tout le matériel.
- Bonjour M. Breton. Vous voulez qu'on vous teste ? plaisante le jeune adjoint.
- Et pourquoi pas. Après tout, si je dois m'y mettre, autant que je connaisse cette sensation d'avoir un écouvillon dans le nez…
Pris de court, Julien interroge Karine du regard. Cette dernière saute sur la proposition :
- Et bien, soit. Le nez de Frédéric sera ton second prélèvement, Julien.
Tout en s'asseyant sur le fauteuil, le Dr Breton demande :
- Vous avez le droit de me prélever ?
- Vous êtes asymptomatique, hors cas contact, et avez moins de 65 ans. Donc oui. Mais je dois quand même vous demander si vous présentez un risque de COVID grave ? répond Julien très sérieux en lui tendant la liste de critères de vulnérabilité.
- Ma foi, non. Je vous abandonne donc mon nez…
(À suivre…)