- Et tu lui as répondu quoi ?, demande Gisèle à Christèle tandis qu'elle signe un bon de livraison.
Tout en saluant le livreur, la jeune préparatrice répond :
- Qu'elle aille voir chez Leclerc si on lui fait crédit !
- Bien dit. Mais c'est quand même triste d'en arriver là. Surtout pour le gamin. Il n'y est pour rien lui.
- Oui, mais ce n'est pas en donnant qu'on les aidera. On connaît la famille. La mère se promène avec un smartphone dernier cri, mais elle ne peut pas payer le lait de son fils ? Et puis la semaine dernière, elle a acheté pour 100 euros de crèmes de beauté.
Christèle remet son masque en place.
- De toute façon, on ne fait pas crédit. J-C et Karine nous l'ont bien dit et redit. Tu te souviens de la pharmacie de la place de Mulhouse ?
- Celle qui a fait faillite ?
- Oui, acquiesce Christèle. La pharmacienne laissait couler, et les gens abusaient de sa générosité. Quand c'est un médicament je ne dis pas. Mais quand le crédit porte sur un produit de confort, là c'est non.
- Le lait, ce n'est pas vraiment un produit de confort…
La sonnette d'entrée retentit.
- Il aura mangé le petit, ne t'inquiète pas. Je te parie que la mère va revenir avec un petit billet d'ici peu, lance Christèle avant de rejoindre le front-office. Bonjour Madame Werner. Je peux vous aider ?
- J'ai un rendez-vous avec le jeune pharmacien. Il est mignon ce petit. Vous n'êtes pas sensible à son charme vous qui êtes jeune ?
- Julien et moi avons au moins 10 ans de différence d'âge ! Il n'est pas arrivé, vous êtes en avance. Je vous laisse patienter Madame Werner.
Au comptoir d'à côté, Damien est en train d'écrire la posologie sur les boîtes de furosémide, plaisantant avec le patient sur les dernières déclarations du président américain. Dans l'espace client, Lou explique à un garçon d'à peu près son âge quels produits utiliser pour nettoyer son visage. La jeune apprentie est très fière de délivrer ses premiers conseils. Le jeune homme, d'allure sportive, semble boire ses paroles.
- Il faut surtout éviter tous les produits qui agressent votre peau. Ce n'est pas en nettoyant la peau à fond qu'elle devient moins grasse. Au contraire, on stimule la fabrication de sébum. Dans ce produit-là, il y a justement un séborégulateur. Ça va aider à équilibrer votre peau.
« Qui est très belle », songe Lou tandis que le garçon remet son masque.
De retour de pause, Julien n'arrive pas à quitter Juliette. L'adjointe, en congés, a souhaité clarifier les choses quant à l'avenir de leur relation amoureuse en dent de scie. J-C et Karine l'encouragent à acquérir la pharmacie de M. Thomas, située dans le même secteur que la Pharmacie du Marché ; les titulaires lui proposent d'ailleurs d'investir dans ce projet. Pour eux, cette solution est plus souple qu'une fusion et protège leur établissement d'une concurrence inconnue.
- J'ai rendez-vous avec la banque demain. C'est une chance inespérée pour moi, tu comprends ? Je dispose d'un apport ridicule ; et puis, travailler en coopération avec la Pharmacie du Marché me rassure…, reprend Juliette.
- Pourquoi ne m'as-tu rien dit avant ? Je représente quoi pour toi ?, demande Julien la main posée sur la poignée de la porte de service.
- Tout est allé très vite. On en a parlé fin juillet avec Karine, comme ça, entre deux portes ; toi, tu étais en vacances. Je ne savais pas encore si je rêvais ou si la proposition était sérieuse.
(À suivre…)