Flaubert décrit l’apothicairerie avec ces mots, citant au passage l’or potable : « Probablement que c’était le logis vénéré d’un bon apothicaire-herboriste d’autrefois, lors du vieux temps des élixirs et des juleps, quand on venait chercher chez lui la drogue orientale, le médicament miellé, l’or potable qui prolonge la vie, et puis aussi le remède mystérieux qui se composait la nuit dans la seconde arrière-boutique, derrière les gros alambics verts et les paquets de baume… »
Un lieu baigné de mystère donc, où l’espoir d’une guérison miraculeuse conférait aux pots à pharmacie et à l’alambic leur dose de magie. Car ce n’est pas rien de dire que les apothicaires, du Moyen âge jusqu’à ceux des temps modernes, utilisèrent des recettes extraordinaires, confinant parfois au charlatanisme.
Mais qu’importe ! En ces temps difficiles, où les douleurs et les souffrances n’étaient que rarement atténuées par les soins, encore valait-il mieux croire. Croire en Dieu pour les uns, en la magie pour les autres. Ainsi se croisent, au cours des siècles, les chemins de la pharmacie et de l’alchimie en de nombreuses recettes d’élixirs fabuleux, tandis que les vertus des plantes et des matières animales progressaient doucement pour aboutir, à la fin du XIXe siècle, aux prémices d’une pharmacie moderne.
L’histoire de la pharmacie ne peut donc faire l’économie de la légende de l’or potable, potion réputée miraculeuse pour des maladies incurables comme la lèpre, l’épilepsie ou la tuberculose. Également conseillée pour guérir la syphilis.
L’or, en effet, métal précieux entre tous, ne pouvait avoir que des vertus. Une sorte de panacée dont les Anciens parlaient déjà sur leurs papyrus. C’est en tout cas ce qu’a tenté de faire croire un certain Révérend Père Gabriel de Castaigne, au début du XVIIe siècle. Comme d’autres avant lui, il crut au pouvoir de l’or solubilisé.
Ce moine franciscain devint l’aumônier de Louis XIII et aurait guéri la reine Marie de Médicis d’un sévère mal de dents grâce à son or potable auquel il consacra un traité (1611). Il eut aussi la bonne idée de s’installer rue Saint-Jacques, à Paris, qui était alors le quartier des apothicaires, sans doute pour donner à ces prescriptions une plus grande crédibilité. Ami et admirateur des apothicaires, il conseillait les eaux distillées, de buglosse, de mélisse, de sauge ou de roses, ainsi que l’eau-de-vie, colorée de poudre d’or.
Mais d’où vient précisément ce remède tant vanté par ce religieux ? Il savait peut-être que Pline l’Ancien avait écrit qu’« il suffit de rendre l’or potable pour pouvoir le prendre sous forme de potion et ainsi guérir, voire prolonger la vie », et probablement que Thomas d’Aquin avait parlé de l’or en solution aqueuse, au même titre que le franciscain catalan Raymond Lulle qui fit une liste de plusieurs recettes aurifères. Il avait peut-être eu connaissance du poème de l’alchimiste anglais Thomas Norton, au service du roi Édouard IV, intitulé « The Ordinall of Alchemy », qui fait allusion à un élixir d’or censé prolonger la vie (dont plusieurs manuscrits sont aujourd’hui conservés à la British Library).
Et, plus proche de lui, en 1575, il savait que le président de la Cour des Monnaies royales, Alexandre de la Tourette, venait de dédier son « Bref discours des admirables vertus de l’or potable » au roi Henri III. Mais il ne saura par contre jamais qu’après lui, au XVIIIe siècle, l’or potable connaîtra un véritable engouement. Déjà l’apothicaire Moïse Charas, dans sa Pharmacopée royale et galénique (1676) parlait de la Teinture d’Or qui guérirait la goutte, la vérole, l’hydropisie ou même la peste.
Une histoire rocambolesque
Mais le véritable succès de l’or potable viendra d’une recette plus aboutie, inventée en 1728 par le comte Alexis Bestoujev-Rioumine, diplomate et homme politique russe au service de Pierre le Grand. L’histoire est pour le moins rocambolesque. Notre diplomate russe, se trouvant en poste à Copenhague pendant trois ans, serait tombé sur des manuscrits du chimiste Böttcher, inventeur de la célèbre porcelaine allemande de Meissen.
À partir de ces travaux, Bestoujev aurait eu l’idée d’une préparation à base d’or dont il confia la mise en œuvre au chimiste Lembke. L’élixir d’or de Bestoujev fut immédiatement distribué dans l’empire de Russie sous le nom de teinture nervine jaune de Bestoujev dont les qualités curatives sont attestées. Mais ce que n’avait pas prévu Bestoujev c’est que sa recette serait vendue à Hambourg par son préparateur en chimie à un Français, le général de La Motte.
Ce dernier, général d’artillerie, s’installa aux Invalides pour fabriquer son fameux élixir d’or qu’il vendra au prix fort à travers tout le royaume et qu’il prétendra être de son invention. Il ne faut pas attendre longtemps pour que les « gouttes d’or du général de La Motte », aussi appelées « élixir d’or et blanc », connaissent un succès sans précédent, notamment auprès des nobles de la cour de Versailles. Pour la petite histoire, Louis XV en offrira même deux cents flacons au pape qui souffrait de la goutte.
À la mort du général, sa veuve, devenue Mme Casabigi, obtint, par lettres patentes du roi, le privilège exclusif de la commercialisation des précieuses gouttes d’or qu’elle faisait fabriquer dans son Hôtel de Longueville. Le roi autorisa donc ce remède si spécial auquel il avait lui-même recours, mais personne ne connut véritablement sa composition, qui resta un secret. En Russie, la formule fut rachetée par Catherine de Russie à la mort Bestoujev. Mais si la recette contenait bien à l’origine de l’or, il semble que ce dernier est désormais souvent remplacé par du chlorure de fer, également de couleur jaune.
La mise en garde du pharmacien Baumé
Et si le Mercure de France, au milieu du XVIIIe siècle, en vante les vertus - « L’élixir de M. le Général de la Motte continue d’opérer les effets les plus heureux, principalement dans l’apoplexie, la paralysie, la goutte, les pleurésies, la petite vérole, la rougeole, les fièvres malignes et les fluxions de poitrine. L’expérience autorisée par nombre de certificats prouve qu’il est très souverain dans les maladies de lait répandu, les indigestions, les obstructions, la dysenterie et rétention d’urine et les mois, les pertes de sang, la jaunisse et les vapeurs de toutes sortes… Plusieurs personnes incommodées d’asthme se sont parfaitement bien trouvées de l’usage qu’elles en ont fait. » - beaucoup se moquent d’un remède qui n’a en fait rien d’efficace, et qui serait même dangereux, comme prévient le pharmacien Baumé. C’est ce que démontre la mort par empoisonnement à l’or de Diane de Poitiers au XVIe siècle. La favorite d’Henri II rendit l’âme à 66 ans, alors qu’elle n’en paraissait que 30. Une jeunesse éternelle due à sa prise quotidienne d’un peu d’or potable.
L’intoxication par l’or a été prouvée en 2009 par des chercheurs français qui ont analysé les restes de ses os exhumés et une mèche de ses cheveux (conservée au château d’Anet). Ce qui expliquerait son teint diaphane – en fait maladif – qui était pourtant un attribut de beauté à la Renaissance.
Usages contemporains
Cependant, les apothicaires d’autrefois n’avaient pas tout à fait tort lorsqu’ils voyaient dans les solutions aurifères des remèdes et des élixirs de jouvence. Depuis le début du XXe siècle, par exemple, les sels d’or sont prescrits pour soigner les cas de polyarthrite rhumatoïde et d’arthrite psoriasique.
Plus récemment, l’auranofine, molécule active dérivée de l’or, déjà utilisée dans certains traitements anticancéreux, a été identifiée par des chercheurs californiens comme efficace contre l’Entamoeba histolytica, l’agent actif de l’amibiase, maladie parasitaire de l’intestin, responsable de la dysenterie, qui sévit notamment en Amérique latine.
Et aujourd’hui, dans le domaine cosmétique, des particules d’or sont utilisées dans la composition de crèmes anti-âge. Et du fil d’or est même utilisé pour combler certaines rides et améliorer le relâchement cutané…
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