Au XIXe siècle, les vins médicinaux sont une formule pharmaceutique très généralisée en France, souvent concoctés avec les nouvelles plantes exotiques à la mode. « L’Officine » de Dorvault en dénombre 154 sortes en 1880. Le Vin Mariani n’est donc pas la seule boisson tonique à base de coca. Il existe, par exemple, le Vin Bravais ou le Coca des Incas. Et pour chacun de ces produits, c’est aussi la guerre des affiches publicitaires qui se joue sur le terrain de la commercialisation. Celles-ci sont souvent réalisées par des artistes à la signature célèbre comme Alphonse Mucha qui dédie une affiche au Vin des Incas ou Jules Chéret, affichiste star de la Belle Époque, dont le graphisme fait en partie le succès du Vin Mariani. La concurrence est rude, et l’on peut dire aussi que tous les coups sont permis, jusqu’à des cas de falsification de compositions ou de dénominations. Mais alors, pourquoi le nom de Mariani est-il resté à la postérité ?
De Pero-Casevecchie à Paris
Une des principales raisons tient à la personnalité d’Angelo Mariani. Né dans le petit village de Pero-Casevecchie, en Haute-Corse, le jeune garçon apprend tout auprès de son père, apothicaire apprécié de sa région, qui s’installera par la suite à Bastia (aujourd’hui la pharmacie Dussol se trouve à l’emplacement de l’ancienne officine des Mariani). Il se passionne rapidement pour le métier de pharmacien qu’il part exercer à Paris où il fait ses armes en tant qu’apprenti chez plusieurs apothicaires, dont Chantrel, rue de Clichy, et Mondet, rue du faubourg Saint-Germain. Angelo, curieux et ambitieux, cherche à se démarquer. Il lui faut donc une spécialité à travailler. Assez naturellement, il s’intéresse à deux plantes que son père lui avait déjà fait découvrir : le quinquina et la feuille de coca. Dans le même temps, il fait la connaissance du Dr Charles Fauvel qui fréquente l’officine dans laquelle il travaille et qui fait également des recherches sur la feuille de coca, en particulier au regard de ses propriétés anesthésiques. Ensemble, ils mettent au point le fameux Vin Mariani, qui fait sa première apparition sur le marché en 1871. Suite à cette collaboration, l’officine Mariani ouvre boulevard Haussmann.
Un livre d’or inestimable
« J'ai à vous adresser mille remerciements, cher Monsieur Mariani, pour ce vin de jeunesse qui fait de la vie, conserve la force à ceux qui la dépensent et la rend à ceux qui ne l'ont plus » écrit Émile Zola en 1895. Voilà comment les plus grands intellectuels vantaient les vertus du vin stimulant dont la rumeur dit toujours que chaque verre contenait une ligne de cocaïne pure !
Le véritable trait de génie de Mariani fut d’user du recueil de témoignages à son plus haut degré. Technique infaillible qui diffusa son nom aux quatre coins du monde. Contre quelques bouteilles de son précieux vin, notre pharmacien recevait des milliers de commentaires élogieux sur son élixir, au point de constituer un livre d’or inestimable contenant les noms de tous les people et politiques de l’époque, jusqu’au pape lui-même ! Il en fit des albums qu’il appela « Figures contemporaines », parmi lesquelles se trouvaient par exemple Sarah Bernhardt, Charles Gounod, Colette, Thomas Edison, Frédéric Mistral, mais aussi les signatures de trois papes, seize souverains et plus de trois cents médecins ! Aux écrivains, il leur demandait de se fendre d’une petite louange, aux artistes, de griffonner un délicat dessin, aux musiciens, de composer quelques notes, souvent contre une rémunération d’ailleurs. Car Angelo se voyait aussi en promoteur des arts. Ainsi, André Citroën a pu écrire que « si l’on devait standardiser les vins pour les faire en grande série, j’adopterais comme modèle unique le vin tonique Mariani ». De la même manière, l’avocat Campinchi écrivit : « Dans l’âpre bataille d’une Cour d’assises, un verre de Mariani, c’est un argument. Deux verres, c’est l’acquittement. » Extrêmement malin, Angelo Mariani ajoutait pour chaque personnalité une photo et une petite biographie. Les 14 volumes de ces albums pharmaceutiques si particuliers constituent aujourd’hui une véritable mine de références sur les contemporains de notre pharmacien et une belle galerie de portraits.
Des Vins Mariani au French Wine Coca
Sous forme de vin ou de grog, le produit Mariani est réputé pour redonner de l’énergie, fortifier la voix, régénérer les athlètes, ou encore combattre les rhumes, les enrouements, la grippe, l’anémie et les bronchites. Le succès est tel qu’Angelo Mariani abandonne son petit laboratoire de la rue Vaneau pour ouvrir de plus grandes installations rue de Chartres, à Neuilly-sur-Seine, dotées de serres à coca et où il reçoit désormais dans des salons entièrement ornés, au seul motif récurrent, celui de la feuille de coca bien sûr. Les Vins Mariani s’exportent alors dans plusieurs régions du monde. La marque, la forme de la bouteille, le descriptif, tout est pensé pour que le merveilleux breuvage soit reconnaissable entre tous. Et rien ne semble pouvoir arrêter cette ascension. Avant-guerre, pas moins de 10 millions de bouteilles par an sont écoulées ! Cependant, l’embellie est bientôt assombrie par les inquiétudes qui s’expriment au sujet de l’effet euphorisant et addictif du principe actif de la feuille de coca. Evidemment, Mariani s’empresse de rassurer les esprits en précisant que la faible dose de coca contenue dans son vin ne peut mener à une forme de « cocaïnisme », même s’il ne peut nier la sensation de bien-être que procure sa boisson.
Angelo Mariani doit alors se battre contre les nouvelles mentalités, les réglementations qui vont bientôt contraindre les publicités à ne plus faire la promotion des drogues, mais aussi les imitations qui se multiplient. Une des plus célèbres reste celle réalisée par un pharmacien américain d’Atlanta, John Smith Pemberton qui invente son French Wine Coca en prenant pour modèle le Vin Mariani. En 1886, la prohibition oblige ce pharmacien à changer sa recette. Il remplace alors le vin par de l’eau gazeuse et du jus de citron. Le Coca-Cola était né, avec le succès jamais égalé qu’on lui connaît.
Et voilà comment, depuis la campagne de l’île de Beauté jusqu’aux États-Unis, le Vin Mariani fut la bien source d’inspiration de la plus célèbre marque du monde. Mais le plus beau dans cette histoire est qu’Angelo Mariani a trouvé récemment son successeur, Christophe Mariani, dont le patronyme est prédestiné. Ce restaurateur corse, qui n’est ni pharmacien ni vigneron, vient de relancer la marque après s’être passionné pour l’histoire fabuleuse de son ancêtre de terroir. Son défi : retrouver la forme des bouteilles historiques et le goût originel de la boisson pharmaceutique.
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