Au fil de nos recherches, le premier nom que l’on rencontre est celui de Tapputi-Belatekallim, considérée comme la première chimiste de l’histoire. On ne sait pas grand-chose d’elle si ce n’est qu’elle occupait la fonction respectée de parfumeuse et de surintendante du Palais royal à l’époque babylonienne. Son nom est mentionné sur une tablette d’argile en écriture cunéiforme datée vers 1 200 av. J.-C. aux côtés de la plus vieille mention connue relative à un alambic. Tapputi réalisait ses propres recettes à base de plantes et les historiens s’accordent à penser qu’elle avait connaissance du processus de distillation pour fabriquer ses parfums, utilisés à des fins de rituels religieux, d’hygiène ou à des fins thérapeutiques.
Quelques siècles plus tard, dans l’Alexandrie hellénistique, une certaine Maria Hebraea, aussi appelée Marie la Juive, écrit un traité intitulé « Sur les fourneaux et les instruments » et donne son nom à notre célèbre « bain-marie », même si Hippocrate et Théophraste avaient vraisemblablement déjà parlé de cette technique avant elle. Marie la Juive vécut au IIIe siècle av. J.-C. à Alexandrie et ses travaux sont connus grâce à l’alchimiste Zosime de Panopolis qui en fait grand cas. Ce dernier s’inspire en effet des écrits de Marie la Juive pour détailler à son tour le processus de distillation. On sait notamment qu’elle avait fabriqué ses propres instruments de distillation en utilisant de l’argile, du métal et du verre. Elle considérait d’ailleurs le verre comme un matériau très pratique pour ses expériences scientifiques car il lui permettait de mieux voir la quantité et la texture des substances utilisées. Très moderne et inventive pour son époque, elle aurait créé deux alambics différents : le tribikos, en cuivre, doté de 3 vases récepteurs, et le kérotakis, en vase clos, permettant par exemple d’altérer du plomb avec de l’évaporation de soufre.
Potions magiques
Les plus célèbres potions magiques féminines entrent un peu plus tard dans la lumière avec la nonne Hildegarde de Bingen à l’époque médiévale (voir notre article du 24 novembre 2014) qui inspire toujours aujourd’hui pharmaciens et phytothérapeutes. Moins connue, mais à mentionner aussi, on trouve sur notre route Lady-Talbot, comtesse d’Arundel, auteur d’un traité, « Natura Exenterata », publié post-mortem à Londres en 1655, dans lequel elle énumère des recettes à base de plantes à des fins médicales. Cette femme de la noblesse européenne, mariée à un grand collectionneur d’art et plusieurs fois portraiturée par Rubens et Van Dyck, voyagea beaucoup et fit un long séjour à Venise où elle put avoir connaissance d’un traité qui avait eu du succès au milieu du XVIe siècle et intitulé « I Segreti della Signora Isabella Cortese », aussi bien alchimique que cosmétologique. Environ à la même époque, mais au Danemark cette fois, c’est la sœur de l’astronome Tycho Brahe qui se passionne également pour l’alchimie. On sait que Sophie Brahe possédait un laboratoire dans lequel elle fabriquait des remèdes pour ses proches et les pauvres. De la même manière, mais un siècle plus tard, Katherine Boyle Jones, connue sous le titre de Lady Ranelagh, la sœur du chimiste et médecin Robert Boyle, possédait elle aussi un laboratoire dans lequel elle s’adonnait à des expériences scientifiques. Très influente dans l’Angleterre du XVIIe siècle, elle aurait même participé à l’élaboration du traité du médecin Thomas Willis, « Pharmaceutice Rationalis » incluant de nombreuses recettes thérapeutiques.
Parmi toutes ces femmes, la plus féministe reste une Française, Marie Meurdrac, qui publie en 1666 sa « Chymie charitable et facile en faveur des Dames » tout en prônant que l’enseignement du savoir aux femmes permettrait que ces dernières puissent égaler les hommes. Évidemment, ces propos ont rencontré des détracteurs, mais Marie Meurdrac réussit à s’affirmer et à publier son ouvrage qui connut de nombreuses rééditions en France et à l’étranger (voir notre article du 24 novembre 2016).
Un siècle plus tard, c’est la femme d’un des plus grands chimistes, Lavoisier, qui acquiert des connaissances poussées à force de soutenir son époux. Elle peut être considérée comme sa muse et sa collaboratrice. Marie-Anne Paulze Lavoisier assista en effet le grand homme dans tous ses travaux, dessinant la plupart des planches de ses publications, un art qu’elle avait appris auprès du grand peintre Jacques-Louis David. Après l’exécution de Lavoisier en 1794, elle s’emploiera à publier les « Mémoires de Chimie » de son mari, une compilation précieuse de l’ensemble de ses notes.
Dans l'ombre de grands hommes
Il faut également mentionner une amie du couple Lavoisier qui fut une chimiste avisée, reconnue et admirée par ses pairs. Il s’agit de Claudine Picardet, mariée en première noces au directeur du jardin botanique de Dijon, Claude Picardet, ce qui lui permit d’intégrer des cercles de scientifiques dans lesquels elle se fit remarquer, d’abord par son incomparable beauté, puis par son intelligence. Le cercle de Dijon avait notamment la particularité de promouvoir l’accès des sciences aux femmes et de s’intéresser aux travaux des scientifiques étrangers. C’est ainsi qu’en 9 ans, Claudine Picardet va traduire 800 pages, notamment du Suédois Carl Wilhelm Scheele, de l'Irlandais Richard Kirwan et du Saxon Abraham Gottlob Werner. En deuxièmes noces, elle épouse Louis-Bernard Guyton-Morveau, professeur de chimie à l’École polytechnique dont elle était devenue l’assistante et la protégée depuis plusieurs années. Ne cessant d’évoluer dans cet univers de scientifiques, Claudine Picardet fera ses propres traductions et annotations, d’abord le plus souvent anonymement, jusqu’à ce que son nom soit finalement dévoilé par l’astronome Jérôme Lalande. Férue de minéralogie, de chimie et de biologie, elle peut être considérée comme une de ces femmes chimistes oubliées, qui furent pourtant indispensables à l’évolution de travaux menés par des hommes. Sa première publication dans le « Journal de physique » fut ainsi introduite : « La frivolité perd peu à peu son empire ; et c'est à l'étude de la physique et de l'histoire naturelle qu'on est redevable de cette révolution. L'exemple de Madame de P… prouve que le beau sexe sait, quand il veut, se livrer à des occupations aussi utiles et intéressantes. La traduction que nous offrons à nos lecteurs, présente une femme éclairée, un esprit juste, et une plume aussi concise qu'élégante. »
Notre petite galerie de portraits féminins, non exhaustive, s’arrête ici. On aurait pu citer d’autres exemples de femmes oubliées, travaillant dans l’ombre de grands hommes ou apprenties chimistes. Une chose est sûre, l’histoire de la pharmacie doit beaucoup aux nombreuses femmes et nonnes apothicaires qui œuvrèrent aux soins des pauvres et des malades au sein des hôtels-Dieu. Et pour les plus ambitieuses, il faudra attendre que les bancs des universités accueillent les femmes, à partir de 1880, pour qu’elles puissent espérer s’épanouir.
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