« Dausse, tout le monde connaît le nom aujourd’hui, ou s’en rappelle, mais plus personne ne connaît son histoire ! », s’exclame Remy Bellenger en introduction de notre rencontre. C’est pourquoi il a écrit un livre pour faire état de l’ensemble des documents qu’il a retrouvés, par hasard, dans cinq cartons remplis d’archives familiales qui dormaient depuis des années dans un grenier. Ensuite, il s’est adressé à Sanofi pour glaner d’autres informations ; Dausse étant devenu Synthélabo en 1970 - en association avec le Laboratoire Robert & Carrière - racheté par l’Oréal, puis par Sanofi en 1999.
Au début, la petite pharmacie parisienne
Beaucoup d’histoires de pharmacie sont des histoires de familles. Celle-ci commence avec Amans Dausse, pharmacien, qui ouvre une officine au 10, rue de Lancry à Paris, en 1826, dont une publicité de 1832 indique qu’il est « dépositaire des recettes et préparateur des médicaments qui composent le nouveau mode de traitement inventé par M. Dausse médecin, pour la guérison des Dartres de toutes espèces et des Teignes ». Remy Bellenger note qu’à cette époque son ancêtre est un homme très actif, qui, avec l’aide de son frère, pharmacien également, met au point des anti-dartres dont il teste l’efficacité auprès des malades de l’hospice Saint-Louis. Cette propension à l’expérimentation le mène à la création d’un petit laboratoire attenant à sa pharmacie dès 1834.
Cette nouvelle activité est concomitante à la mise au point d’un alambic portatif permettant la distillation et l’évaporation au bain-marie des extraits pharmaceutiques avec une forte économie de combustibles. Une invention d’autant plus importante qu’elle intervient à une époque où pharmaciens et chimistes recherchent tous le moyen le plus efficace d’extraire la quintessence des substances médicamenteuses. L’alambic Dausse fera des émules. Amans Dausse fournira, lui, plusieurs études sur ce sujet à la Société de Pharmacie ou au « Journal de pharmacie ». Les extraits de plantes vont devenir sa passion et son fonds de commerce. Il y voit le moyen de se démarquer de ses concurrents.
Un laboratoire spécialisé dans les extraits de plantes
« Amans Dausse est un pharmacien de son époque et l’évolution de son laboratoire est un modèle du genre au milieu du XIXe siècle », insiste Remy Bellenger, en précisant que son aîné était préoccupé par les problèmes économiques et sociaux de son temps. Ainsi, la recherche des économies en eau sera un de ses soucis comme en témoigne la mise au point d’une cafetière intelligente, dotée d’un flotteur-compteur permettant à l’utilisateur de savoir exactement combien de tasses il reste à boire. Une petite merveille qui lui valut une médaille d’honneur à l’Exposition universelle de 1844. Dès lors, Amans Dausse souhaite se faire une réputation. En 1856, il déplace son laboratoire rue Aubriot, dans des espaces beaucoup plus grands où loge également sa nombreuse famille (il aura sept enfants). Le succès est au rendez-vous. Sur le catalogue de 1872 on peut lire 315 références d’extraits, mous et secs, et 60 extraits fluides proposés par 65 dépositaires en France et 5 en Belgique.
Remy Bellenger a retrouvé tous les catalogues du laboratoire, ainsi que des livres de comptes et les actes d’état-civil : « C’est extraordinaire de retrouver autant de traces. Cela m’a permis de comprendre les relations familiales et l’organisation du laboratoire en détail sur plusieurs années et plusieurs générations. » En effet, à la mort d’Amans Dausse en 1874, ce sont ses gendres qui reprennent l’affaire, dont notamment Ambroise Duboé, pharmacien, et Alexandre Boulanger, centralien-chimiste, qui sont des atouts pour la société transformée en SNC. Avec ce dernier, l’entreprise s’adapte au vent de modernité qui souffle à la fin du XIXe siècle. Alexandre Boulanger achète des terrains à Ivry-sur-Seine, en 1884, pour transformer la petite entreprise en véritable industrie pharmaceutique dotée de grands ateliers et de laboratoires.
L’usine d’Ivry-sur-Seine
L’ascenseur social est en marche. À la deuxième génération, suit une troisième menée par Stéphane Ragoucy, jeune pharmacien qualifié qui prend la tête de l’usine d’Ivry et qui n’est autre que l’arrière-grand-père de Remy Bellenger. Les liens familiaux suivent exactement le développement de l’entreprise pharmaceutique puisque Stéphane Ragoucy épouse Armande, la fille d’Alexandre Boulanger. La maison Dausse montre son savoir-faire et la modernité de ses appareils à évaporation dans le vide à l’Exposition universelle de 1889 qui lui attribue une médaille d’or. Cette même année, Stéphane Ragoucy met sur le marché son élixir fortifiant, le Quina Ragoucy, qui sera diffusé jusqu’en Amérique du Sud pour une production de 5 000 flacons en deux ans. Le Laboratoire Dausse ne cesse alors d’augmenter sa production d’extraits de plantes dans les années 1890. Le père-fondateur avait vu juste et ses descendants s’attachent à garder son esprit.
Remy Bellenger tourne les pages de son livre en nous détaillant chaque photographie. Nombreuses sont celles qu’il a retrouvées de l’usine d’Ivry, qui a disparu aujourd’hui : « Les Dausse ont créé plusieurs SNC, à chaque génération. Évidemment, il y a encore des mystères comme celui de comprendre pourquoi l’entreprise subit un ralentissement de son développement à partir de 1922, à la mort de Stéphane Ragoucy. Probablement suite à un différend entre ce dernier, qui croyait aux plantes et qui avait installé les cultures Dausse dans la ferme de Vintué à Etréchy, et les deux fils d’Alexandre, Edouard et Emile, qui souhaitaient donner une autre direction à l’usine. C’est avant tout une histoire de familles, ne l’oublions pas », explique Remy Bellenger. « Dausse est en tout cas un des plus importants laboratoires pharmaceutiques de son époque, son histoire méritait d’être racontée », poursuit-il avec émotion. Son grand-père, Louis Ragoucy, prit la suite de Stéphane à l’usine mais le conflit avec les Boulanger signa bientôt la fin de la belle histoire de familles. Dausse souffrit de ce conflit, à une époque où d’autres laboratoires prirent le tournant de la modernité.
Il reste ces incroyables photographies en noir et blanc qui font revivre les grandes heures de l’usine : les ouvriers au travail, les camions de livraison, les cheminées d’usine, la chaudière, le régulateur de Watt, les labos d’essais, les armoires de séchage, la pilerie, la presse hydraulique, les appareils de pulvérisation, les ateliers de lixiviation, d’évaporation, de disquage des pilules, de pastillage, de conditionnement… tout y est ! Remy Bellenger a accompli ici un magnifique travail de mémoire, pour sa famille, mais aussi pour les premières heures de l’industrie pharmaceutique.
À lire : « Le Laboratoire Dausse, une affaire de familles ». L’Hexaèdre, éditeur, 10 rue Joseph-de-Maistre, 75018 Paris. www.hexaedre.fr - info@hexaedre.fr.
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