Histoires de santé

De l’érythromycine à la rapamycine… « fantastique »

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Publié le 31/03/2016
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Surendra Nath Sehgal (1932-2003)

Surendra Nath Sehgal (1932-2003)
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En 1964, des scientifiques canadiens partis en mission dans l’Île de Pâques y prélevèrent des...

En 1964, des scientifiques canadiens partis en mission dans l’Île de Pâques y prélevèrent des...
Crédit photo : Phanie

Érythromycine : elle doit son nom à Streptomyces erythreus, un actinomycète isolé d’un échantillon de terre collectée près de la ville d’Iloilo (île de Panay, archipel des Philippines) d’où deux biochimistes américains, Robert L. Bunch et James M. McGuire (laboratoire Eli Lilly), isolèrent en 1952 cet antibiotique au spectre proche de celui de la pénicilline.

Premier macrolide (ainsi nommé en raison de la présence du grand motif cyclique de sa structure) introduit en clinique, il pouvait être administré au patient allergique aux lactamines et restait actif même en cas de résistance staphylococcique à la pénicilline. L’érythromycine étant instable dans le suc gastrique acide et ses produits de décomposition induisant nausées et douleurs gastriques, des esters et des formulations galéniques stables en milieu acide furent rapidement commercialisés.

Sa famille s’étoffa de composés plus performants tels la clarithromycine ou la roxithromycine. Premier azalide, l’azithromycine fut découverte en 1980 par des chercheurs du laboratoire Pliva (Zagreb) dirigés par Slobodan Djokic.

Ceci dit, comment ne pas évoquer ici leur cousine découverte par des biochimistes des laboratoires Merck, en 1977, au sein d’un mélange d’avermectines isolées d’un actinomycète japonais : Streptomyces avermitilis.

Cette abamectine fut en effet à la base de l’obtention, par simple réduction, de l’ivermectine (connue dans nos rayons sous le nom de Stromectol). Offerte à l’OMS dans le cadre d’une campagne d’éradication de l’onchocercose engagée en 1974, et administrée à plus de 65 millions d’individus, elle permit de réduire la « cécité des rivières » qui faisait des ravages en Afrique tropicale.

Île de Pâques

Mais la saga des macrolides emprunta aussi des chemins insoupçonnés. En 1964, des scientifiques canadiens partis en mission dans l’Île de Pâques y prélevèrent des échantillons de terre qu’ils confièrent à une équipe de microbiologistes du laboratoire Ayerst (Montréal) dirigée par Surendra Nath Sehgal (1932-2003).

C’est dans ces échantillons que fut identifié en 1972 un macrolide original, antifongique et cytostatique. Surtout, cette « rapamycine » (nommée ainsi en l’honneur de l’île de Pâques, Rapa Nui pour les indigènes polynésiens) se révéla dotée d’une activité immunosuppressive que le National Cancer Institute qualifia alors de… « fantastique ». Mais le laboratoire n’entendit pas poursuivre les travaux sur ce médicament : la déception fut amère pour Sehgal qui misait beaucoup sur son potentiel et qui eut la présence d’esprit de conserver un échantillon de la souche productrice de l’antibiotique.

Bien lui en prit : il réussit en 1987 à convaincre la direction du laboratoire, dont les intérêts étaient désormais concentrés aux États-Unis auprès du laboratoire Wyeth, de reprendre les travaux sur la rapamycine. Elle fut finalement commercialisée en 1999 sous le nom de sirolimus (Rapamune).

De leur côté, des chercheurs du laboratoire Fujisawa (Osaka) avaient isolé en 1984, à partir d’un Streptomyces tsukubaensis provenant du… Mont Tsukuba, près de Tokyo, un macrolide original. Sa structure fut élucidée en 1987 par Toshio Goto (1929-1990), T?ru Kino et Hiroshi Hatanaka (1932-1994). Également doté de propriétés anti-rejet et appelé tacrolimus (Tsukuba macrolide immunosuppressant), il fut agréé en 1994 (Advagraf, Prograf, etc.).

Nicolas Tourneur

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3253