L’APOTHICAIRERIE n’est pas ouverte au public, sauf pour les Journées du patrimoine durant lesquelles des visites spéciales sont prévues. Pour y accéder, il faut d’abord traverser les parties modernisées de l’hôpital Saint-Joseph, dont la première pierre a été posée il y a près de quatre siècles. À l’origine, un tout premier hôpital, encore plus vieux, existait déjà à l’époque médiévale sous le nom d’hôpital Saint-Pierre. Pontarlier est alors une étape entre deux abbayes, celle de Saint-Maurice d’Agaune, dans le Valais Suisse (toujours en activité), et celle de Saint-Bénigne, à Dijon (aujourd’hui musée archéologique). Mais, au début du XVIIe siècle, des assauts de mercenaires royaux et des incendies ravagent le quartier Saint-Pierre. Il est décidé de construire un nouvel hôpital, de l’autre côté de la ville sur le faubourg Saint-Etienne. Celui-ci ouvre ses portes en 1700.
La date n’est pas anodine. C’est une nouvelle ère pour la Franche-Comté, qui vient d’être annexée quelques années plus tôt au royaume de France. Et c’est aussi une nouvelle ère pour l’histoire de la santé qui entre dans le siècle de la Charité et voit fleurir des structures hospitalières un peu partout, plus grandes et plus soucieuses des questions d’hygiène. La Franche-Comté hérite de l’influence des hospices de Beaune et l’art pharmaceutique s’épanouit dans chaque hôpital.
Infirmière et apothicaires.
À cette époque, deux sœurs de l’hôpital Saint-Jacques de Besançon sont appelées pour s’occuper des malades et des indigents de Pontarlier. La petite communauté soignante s’agrandira et gagnera en réputation jusqu’à accueillir des religieuses suisses en formation. Elles font les cataplasmes, les tisanes calmantes et préparent les remèdes des prescriptions médicales. Au cours du XIXe siècle, deux supérieures incarneront le symbole du dévouement des sœurs hospitalières, la Mère Pourny et la Mère Foblant. Et c’est dans l’apothicairerie de l’hôpital, lieu incontournable pour comprendre les soins sous l’Ancien Régime, que les sœurs passent la plupart de leur temps, infirmières et apothicaires à la fois.
Vous me direz que c’est une apothicairerie comme une autre, avec ses faïences bleues, ses boiseries sculptées et ses mortiers de bronze. Oui, certainement, mais le charme opère toujours, et si l’on enquête un peu, on se rend compte que chaque apothicairerie est différente. À Pontarlier, l’originalité ce sont les faïences de Franche-Comté, que Claude Bloch, membre des Amis du musée de Pontarlier, connaît par cœur. Elle nous fait la visite de l’ancienne salle recouverte de longs rayonnages en bois, où sont toujours exposés les vieux pots à pharmacie devenus objets de curiosité et objets d’art. Tout est dans un état impeccable et l’absinthe, l’élixir du pays, trône en bonne place sur les étagères (un pot de porcelaine porte son inscription en lettres dorées).
Trois styles, trois techniques.
Au fil des explications enthousiastes de Mme Bloch, on comprend les différences entre la faïence stannifère, la faïence fine et la porcelaine, trois styles, trois techniques, qui représentent trois époques différentes et témoignent de l’évolution des contenants pharmaceutiques. La faïence stannifère, avec ses formes arrondies et son teint opaque, nous fait voyager dans l’Italie et dans l’Espagne de la Renaissance, puis nous fait remonter en France jusque dans les célèbres faïenceries de Nevers, Rouen ou Dijon. En Franche-Comté, ce sont les faïenceries de Dole, Poligny, Boult ou Rioz qui se mettront à imiter le style nivernais au XVIIIe siècle. Puis, suite au retour de la Compagnie des Indes hollandaises, c’est l’imitation de la porcelaine de Chine qui deviendra une obsession.
Les régions françaises adoptent alors la technique de la faïence fine, une terre d’argile blanche recouverte d’un engobe transparent à base de plomb, dont la technique arrive d’Angleterre. La Franche-Comté et ses nombreuses faïenceries, en particulier celle de Nans-sous-Sainte-Anne et Migette, adoptent cette pâte immaculée qui connaît un grand succès au XIXe siècle. Sur les étagères de l’apothicairerie de Pontarlier, cette page de l’histoire est visible à travers la série de pots en forme de petites urnes blanches finement ornée. Et de l’autre côté, des pots en pure porcelaine annoncent l’époque suivante. Plus insolite, on remarque aussi plusieurs bouteilles transformées en contenants de remèdes, qui rappellent que la région est friande de bon vin, également présent en grande quantité dans les préparations pharmaceutiques.
Terre hospitalière.
En quittant la charmante apothicairerie de Pontarlier, la sœur, gardienne des clefs, nous raccompagne. Le lieu est sous la responsabilité des sœurs - elles sont encore trois à l’hôpital - ce qui fait actionner la machine à remonter le temps. Le fait est plutôt rare, en effet, aujourd’hui. L’impression que l’apothicairerie est encore en service, un peu comme sur une photographie des années 1950…
Les plus passionnées pourront prendre le chemin du musée de Pontarlier, où plusieurs salles sont consacrées à la riche histoire des faïences franc-comtoises, dont beaucoup sont liées au fonctionnement d’une apothicairerie, les exemples les plus connus étant Dole, Poligny et Salins-les-Bains. Les pharmaciens seront intéressés de découvrir ces trésors méconnus de leur profession, qui furent pendant si longtemps des objets du quotidien, et qui ont acquis, par la grâce du temps, une valeur patrimoniale. La connaissance de l’histoire locale est ici profondément marquée par la terre « hospitalière » de Franche-Comté.
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