Sur la devanture, la mention « Granado Pharmacias », et à l’intérieur une féerie de couleurs. En posant quelques questions, on apprend que cette pharmacie est une véritable institution plus que centenaire dans son pays d’origine, le Brésil. Là-bas, les boutiques Granado sont légion. La première (qui existe toujours, mais sous la forme d’un concept-store) est née au cœur de Rio de Janeiro en 1870, fondée par un émigré portugais, le pharmacien José Antonio Coxito Granado. Celui-ci travaille d’abord avec des produits locaux naturels dans sa ville de Teresopolis (connue pour sa forte population portugaise et ses montagnes qui surplombent Rio), des herbes et des fleurs issues le plus souvent de la forêt amazonienne, avant d’avoir l’idée d’importer des produits européens afin de les mêler à ses plantes indigènes.
Le talc maison au succès fou
En 1880, la petite officine, grande pourvoyeuse du palais, devient « Pharmacie officielle de la famille royale », adoubée par Dom Pedro II. Affublée de cette enseigne prestigieuse, elle se met alors à attirer le chaland carioca au 14-16 de la rue Direita (rebaptisée plus tard rue Primeiro-de-Março) dont des figures majeures comme le juriste et grand défenseur des libertés Ruy Barbosa de Oliveira ou l’abolitionniste (et pharmacien de formation) José de Patrocinio.
Le tout Rio se presse pour bénéficier des meilleures recettes médicamenteuses du moment imaginées par les deux frères Granado qui s’affairent dans leurs laboratoires et sentent, comme d’autres à la même époque, que le succès pharmaceutique passe aussi par l’envolée marketing. Au tournant du XIXe et du XXe siècle, Granado connaît ainsi une embellie grâce à son produit-phare, le polvilho antisséptico, approuvé par le célèbre médecin et bactériologiste Oswaldo Cruz, véritable « Pasteur brésilien », connu pour ses combats contre la fièvre jaune et la variole au début du XXe siècle. La nouvelle poudre antiseptique de Granado est un succès fou dès sa mise sur le marché et durant plusieurs décennies (en 1958, un million de boîtes est vendu). Icône de la marque, elle est toujours commercialisée aujourd’hui, dans un joli packaging, avec une formule inchangée.
Le succès est tel que la famille Granado achète ses propres usines au début du XXe siècle, qui servent notamment à approvisionner les nouvelles officines à Brasilia, Belém et Sao Paulo. S’ensuit un effort publicitaire non négligeable. Les affiches colorées au graphisme séduisant accompagnent les pilons et les mortiers. L’officine se lance même dans l’édition d’une revue spécialisée qui présente régulièrement ses nouveaux produits et crée un almanach des plantes médicinales brésiliennes. L’ambition publicitaire s’agrège intelligemment à la légitimité scientifique.
Là où s’est écrite la pharmacopée du Brésil
C’est aussi dans le laboratoire de la pharmacie que Rodolfo Albino, pharmacien spécialisé en pharmacognosie et fondateur de l’Association brésilienne de pharmacie, rédige la pharmacopée officielle du Brésil, en 1926. Il donna même son nom à la bibliothèque de pharmacie, toujours en fonction, gérée par l’Association. L’histoire de la pharmacie moderne du Brésil s’est donc écrite en parallèle de l’évolution commerciale de Granado qui cristallisa autour d’elle les pharmaciens et les médecins les plus réputés du pays.
De l’apothicairerie au drugstore
Aujourd’hui, l’officine n’a plus rien d’une pharmacie traditionnelle mais affiche le visage d’un drugstore tendance qui propose des produits de cosmétologie et de parfumerie aux côtés de quelques formules historiques aux vertus thérapeutiques. On est bien loin du petit laboratoire d’origine et de la fonction officinale de son tout premier fondateur. Mais on ne se lassera pas d’admirer la myriade d’huiles, de crèmes et de savons aux senteurs naturelles parfaitement bien présentée sur d’élégantes étagères, aux côtés des portraits des deux frères pharmaciens. Car Granado est intimement liée à l’histoire quotidienne des Brésiliens qui ont tous eu un jour le talc vertueux ou le savon naturel dans leurs armoires de salles de bains, à l’instar de nos pastilles Vichy ou de notre savon de Marseille.
L’histoire sert aussi une boutique qui se veut désormais à la mode, fréquentée par les touristes et quelques personnalités qui n’hésitent pas à s’en faire les promoteurs, comme Inès de la Fressange ou Christian Louboutin. Shampoing, sels de bain, déodorants, exfoliants, huiles de bains et autres gourmandises cosmétiques sont les nouvelles stars de la boutique.
Le 21 rue Bonaparte et le 11 rue des Francs-Bourgeois
La famille Granado est restée propriétaire de ce petit empire sur trois générations, mais l’internationalisation de la marque a pu commencer à partir de son rachat, en 1994, par l’homme d’affaires anglais Christopher Freeman qui y intègre, en 2004, la marque Phebo, spécialisée en eaux de Cologne et en bougies parfumées, marque née dans les années 1930 et dont la ligne cosmétique mise essentiellement sur les fragrances végétales. En 2013, Granado bénéficie d’un comptoir au Bon Marché qui, d’éphémère, devient permanent, ce qui lance son succès en France. On trouve aujourd’hui des points de vente en Espagne, en Angleterre, au Portugal, en Grèce, en Autriche et en Italie.
À Paris, le 21 rue Bonaparte, ouvert en 2017, est conçu à l’image de la boutique de Rio, un écrin sophistiqué et charmant qui reprend les grands classiques de l’apothicairerie d’autrefois - avec étagères de bois et leurs échelles, faïences rétro et reproductions d’anciennes affiches publicitaires - en les intégrant à un design et un packaging moderne aux couleurs chatoyantes, un peu comme a pu le faire la célèbre Pharmacie Santa Maria Novella de Florence. Ici, le plus intéressant est que le moderne n’a pas tué l’ancien. Bien au contraire, ce dernier est une valeur ajoutée qui permet à chaque visiteur de retrouver les racines d’une histoire familiale et pharmaceutique. Paris se met à l’heure du Brésil puisqu’une deuxième boutique vient d’ouvrir ses portes, en février dernier, au 11 rue des Francs-Bourgeois.
Pour plus d’informations : https://fr.granado.eu/
Dans votre bibliothèque
« Deux par deux »
« Notre Santé est en jeu »
Quelles solutions face au déclin du système de santé ?
Dans votre bibliothèque
« Le Bureau des affaires occultes », ou les débuts de la police scientifique
USA : frites, bière, donuts gratuits… contre vaccin