Aujourd’hui, tout le monde connaît le logo représentant une maman oiseau nourrissant ses oisillons, une image faisant référence à l’étymologie du nom Nestlé signifiant « nid ». Pour imposer sa marque et son nom, Henri Nestlé (1814-1890) n’a pas ménagé ses efforts, en particulier en matière de communication, créant lui-même les étiquettes apposées sur chaque boîte où était inscrit « Henri Nestlé chimiste » suivi de sa signature. Sa fameuse farine lactée pour bébés, vendue dans plus de 18 pays en 1874, dans des boîtes de 500 g en carton et des boîtes en fer-blanc pour les destinations plus lointaines (Mexique, États-Unis…), allait révolutionner le mode d’alimentation des nourrissons et la vie des mamans.
Grâce à ce produit, dans lequel il investit toutes ses économies, il connut le succès à l’aube de ses 60 ans. C’est sa ténacité et son esprit d’entreprise que revendique aujourd’hui le groupe Nestlé, leader mondial de l’alimentation, fort de plus de 50 marques populaires telles que Mousline, Nesquick, Guigoz, Chocapic, Nescafé, Maggi, Ricoré, Perrier ou Herta.
À l’instar de son fondateur, l’entreprise mise aujourd’hui sur l’innovation et la recherche scientifique, notamment à travers le Nestlé intitute of health sciences à l’École Polytechnique de Lausanne (EPFL) et par son engagement dans le domaine spécialisé des soins médicaux de la peau avec sa filiale Galderma.
Du compagnon au commis pharmacien
Heinrich Nestle est né à Francfort-sur-le-Main, alors capitale de la confédération germanique. Adolescent, il commence une formation dans une officine de Francfort à l’enseigne de « Brücken-Apotheke ».
À cette époque, le XIXe siècle entre dans l’ère industrielle et le jeune Nestle assiste à l’installation d’un réseau d’eau potable et de l’éclairage au gaz fourni par une usine aux portes de sa ville, deux faits qui le marqueront. Les années 1830 sont aussi une période où les esprits révolutionnaires se manifestent en Europe. Les libéraux de Francfort s’opposent au Parlement de la confédération enclin à une restauration monarchique.
Pour Heinrich, il semble plus raisonnable de considérer que ce n’est pas la politique mais plutôt la pharmacie qui le mène en Suisse, après cinq ans de compagnonnage. Entre 1839 et 1843, celui qui se fait désormais appeler Henri Nestlé pose définitivement ses bagages dans la pharmacie de Marc Nicollier à Vevey, petit village au bord du lac Léman (où se trouve toujours le siège du groupe).
Nicollier permet à son assistant d’acquérir de solides connaissances en chimie et de passer son examen de « commis pharmacien » à Lausanne, ce qui l’autorise à préparer des compositions pharmaceutiques et vendre des médicaments.
Entrepreneur à Vevey
Contrairement à son maître, il n’acquiert pas une officine mais un grand terrain, doté d’un moulin, d’un pilon et d’une distillerie pour fabriquer de l’huile, du vinaigre, de l’engrais à base de poudre d’os et des liqueurs. Ce sont les premiers produits que Nestlé commercialise. Il y ajoute les eaux minérales produites grâce à l’installation d’une conduite d’eau : eaux gazeuses et non gazeuses et eau de Seltz.
Mais, à la fin des années 1840, des entreprises spécialisées dans le commerce de boissons font chuter sa production artisanale (ironie de l’histoire, le groupe Nestlé détient aujourd’hui plusieurs marques d’eaux minérales telles que Vittel, Hépar, San Pellegrino, Contrex…). Il doit donc se réinventer.
En 1849, il met au point un gaz liquide qu’il vend à la ville de Vevey pour alimenter douze réverbères publics. Mais, une fois encore, le domaine de l’éclairage est rapidement investi par des usines qui produisent à échelle industrielle du gaz de houille. Notre pharmacien ne peut pas lutter.
L’invention de la farine lactée
Influencé par sa femme Clémentine, il commence à s’intéresser à l’alimentation pour enfants car l’industrialisation n’a pas encore investi ce domaine. Les chiffres de la mortalité infantile sont préoccupants au milieu du XIXe siècle, atteignant près de 20 % des enfants dans leur première année.
Si l’allaitement au sein est préconisé, certaines mamans ne peuvent allaiter pour cause de maladies ou de travail (les ouvrières qui ne peuvent cesser de travailler sous menace d’extrême pauvreté). Elles cherchent alors à nourrir leurs bébés avec une alimentation de substitution, bien souvent du lait animal qui n’est pas exempt de bactéries et reste difficile à digérer. Mais le pire est peut-être que médecins et mamans se sont habitués à la mort des nourrissons, comme une fatalité.
Lorsque Nestlé et sa femme décident d’adopter la petite Emma Seiler, orpheline très jeune de père et de mère, le chimiste pharmacien semble se sentir investi d’une nouvelle mission et revenir à ses premières amours : créer un produit, voire un remède, qui serait vendu en épicerie et en pharmacie et remplacerait le lait maternel. Pour sauver les enfants. Contre l’opinion générale et celle des médecins, Nestlé est en effet persuadé que la mortalité infantile est due essentiellement à une carence alimentaire des nourrissons.
Prenant exemple sur un de ses aînés, Justus von Liebig, dont la « soupe pour nourrissons », créée en 1865, avait obtenu un franc succès, il cherche une manière plus simple pour les mères de préparer un lait artificiel. Au lait de vache suisse (réputé comme le meilleur) qu’il concentre, il ajoute de la farine de froment, diminuée en acides et en amidon (deux éléments que les enfants ont du mal à digérer) puis moulue et mélangée au concentré de lait. Il intègre à cette mixture séchée du bicarbonate de calcium.
Ainsi est née la farine lactée de Nestlé dont la réputation est faite dès 1866 lorsqu’elle sauve un nouveau-né prématuré (le « petit Wanner ») qui se refusait à ingérer quoique ce soit. La farine miraculeuse a l’avantage de se préparer en quelques minutes sous forme liquide dans un biberon ou à la cuillère en bouillie. Et elle a bon goût ! Les mères voient dans ce produit bien plus qu’un aliment de substitution, un véritable médicament contre la diarrhée et la mauvaise digestion.
Nestlé a gagné son pari et étend son canal de distribution aux pharmacies qui lui apparaissent être les revendeurs les plus appropriés. Entre 1866 et 1874, il passe d’une entreprise artisanale à une production industrielle qui vend dans le monde entier plus de 1,6 million de boîtes grâce à un réseau d’agents et de détaillants.
Sur son terrain, apparaissent une boulangerie, une ferblanterie, une laiterie et de grandes cheminées, lorsqu’il décide de vendre son entreprise, en 1874, probablement exténué et dépassé par la charge de travail. Car il faisait tout, tout seul, jusqu’à écrire lui-même des articles dans la presse médicale pour expliquer la composition et les vertus de sa farine.
Ses successeurs fusionnent en 1905 avec l’Anglo-Swiss Condensed Milk Company, qui avait lancé en 1867 le premier lait condensé en Europe, donnant naissance au groupe alimentaire qui pèse aujourd’hui 82 milliards d’euros. Henri Nesté reste le grand inspirateur d’une multinationale qui ne cesse de se développer. Récemment, Nestlé a procédé à des rachats ciblés : le fabricant américain d’aliments pour bébés Gerber en 2006, la division Medical Nutrition de Novartis en 2007, et Wyeth Nutrition, l’activité de nutrition infantile du groupe Pfizer en 2012.
Il ne reste plus qu’à aller visiter l’Alimentarium à Vevey, musée historique du groupe qui rouvrira ses portes, entièrement rénové, en juin prochain. L’esprit du pharmacien y règne toujours.
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