Pas facile cependant de retracer sa vie. On sait qu’elle est née à Mandres-les-Roses en 1610 et qu’elle vécut un temps au château de Grosbois (situé aujourd’hui dans le Val-de-Marne) aux côtés de son époux, Henri de Vibrac, un proche de Charles de Valois. Elle y aurait peut-être fait installer un laboratoire dans lequel elle s’employait à confectionner des remèdes et des recettes cosmétiques.
C’est en tout cas dans ce château qu’elle reçut régulièrement la comtesse de Guiche avec qui elle entretint une grande amitié et dont la beauté lui inspira probablement nombre de secrets pour le soin des dames. En tant que femme de sciences, elle n’a pas pu être hermétique à un 17e siècle qui voit s’affronter les tenants de la médecine des Anciens, Hippocrate et Galien en tête, et les défenseurs d’une nouvelle pensée, celle de Paracelse, qui fait primer l’expérimentation et l’observation de la nature. De manière plus caricaturale, cet affrontement se stigmatisa dans la querelle la plus longue de l’histoire de la chimie, celle qu’on appela « la querelle de l’antimoine », qui opposa la faculté de Paris à l’université de Montpellier. Cette dernière, chantre de l’antimoine, sortit finalement victorieuse par la grâce d’une guérison miraculeuse du jeune roi Louis XIV, gravement atteint d’une fièvre typhoïde, mâtée avec l’énergie du désespoir par 22 purges assorties d’une once d’antimoine. Évidemment, nul ne sait si l’antimoine a réellement joué un rôle dans cette histoire, d’autant que Mazarin n’y survécut pas quelque temps plus tard. Mais le destin royal en avait décidé ainsi, et le 29 mars 1666, la faculté de Paris s’inclinait en inscrivant le vin émétique dans la liste des purgatifs autorisés.
C’est cette même année 1666 que Marie Meurdrac publie son traité intitulé « La Chymie charitable et facile en faveur des dames » qui connut un véritable succès éditorial avec cinq éditions françaises, six allemandes et une Italienne. Il s’agit d’un manuel pratique conçu spécifiquement pour un public féminin qui serait tenté de reproduire des recettes simples sans recourir à des connaissances particulières. Il a le mérite de réunir les techniques de préparations de médicaments et celles de préparations des cosmétiques. L’auteur y décrit par exemple les différentes formes de distillation, en mentionnant notamment les tout nouveaux Bains Marie qui permettent de réaliser plusieurs distillations en même temps, ainsi que des procédés permettant d’extraire des plantes des essences, des huiles, des teintures, des eaux ou des résines. En bonne spécialiste des trois règnes, elle s’attarde sur les matières animales auxquelles elle attribue des vertus qui nous semblent totalement burlesques aujourd’hui comme ce « poulet coupé tout vif par la moitié, et appliqué sur la tête » qui fortifierait le cerveau et mettrait fin aux fièvres persistantes, sans parler de « l’huile admirable des os d’hommes » ou de l’eau de limaçon pour « oindre les hémorroïdes » ! Cependant, au-delà de quelques recettes moyenâgeuses, Marie Meurdrac n’hésite pas à citer également des ingrédients plus sophistiqués à base de mastic, d’encens, de myrrhe ou de laudanum, ou encore des remèdes précis comprenant du vitriol, de l’esprit de nitre, de l’ambre ou du sel de corail. Elle montre ainsi son savoir tout en précisant qu’elle expérimente chaque préparation dans son laboratoire. Une manière de dire qu’elle a bien retenu la leçon de Paracelse et des médecins de Montpellier…
Ce qui la différencie de ses contemporains, c’est que son premier objectif est de faciliter le quotidien des femmes en leur procurant des conseils pour se soigner et quelques secrets de beauté. Au milieu du 17e siècle, dans les milieux aisés, la toilette féminine devient un moment intime qui privilégie onguents, pommades et eaux parfumées. Marie Meurdrac profite de son traité pour exprimer son point de vue bien tranché sur la condition féminine à son époque, appelant de ses vœux l’égalité des sexes dans son avant-propos sans oublier de rappeler qu’elle hésita elle-même longtemps avant d’oser publier son ouvrage car « cette réputation n’est pas d’ordinaire avantageuse puisque les hommes méprisent et blâment toujours les productions qui partent de l’esprit d’une femme ». Un peu plus loin, son féminisme ne se fait plus timide lorsqu’elle écrit « que les esprits n’ont point de sexe et que si ceux des femmes étaient cultivés comme ceux des hommes et que l’on s’employait autant de temps et de dépenses à les instruire, ils pourraient les égaler ». Que dire de plus ? Et quel meilleur moyen de mettre en avant la femme que d’en prendre soin ? C’est ce que fait notre charmante chimiste dans la dernière partie de son ouvrage, non la moindre, qu’elle dit « ajouter, en faveur des Dames, pour les garantir d’un nombre infini d’accidents qui arrivent en se mettant des choses au visage, dont elles ne savent point les compositions. »
Secrets de femmes pour être belle
Elle veut rendre les femmes belles tout en les maintenant en bonne santé. Parmi ses recettes, celle qui permet de se teindre facilement les cheveux en blond, châtains ou noirs donne une idée de la cosmétique en vogue au 17e siècle : « Prenez trois onces de litharge d’or, deux écuellées de bonne lessive commune, une écuellée de chaux vive, faire bouillir avec huit onces d’alun de roche, incorporant le tout ensemble, et les faire cuire jusques à ce qu’il devienne épais comme de la moutarde ; de cette mixtion frottez-en les cheveux avec un drapeau, quand ils seront bien dégraissés avec quelque lessive ou éponge ; laissez le tout une demi-heure. Et si vous voulez que cette pâte sente bon, vous pouvez, en la faisant cuire, y ajouter de la poudre d’Iris de florescence à discrétion. L’usage vous fera connaître que la première fois, les cheveux deviendront blonds, la deuxième châtains et la troisième noirs. »
L’eau de la Reine de Hongrie mérite aussi une attention particulière, ici destinée à des robes plus aristocratiques, car il s’agit du tout premier parfum connu, confectionné à base de romarin macéré dans de l’esprit-de-vin pour la reine Élisabeth de Hongrie en 1370 (même si Marie Meurdrac semble proposer une date beaucoup moins ancienne, celle de 1652, en avançant le nom d’une autre reine de Hongrie, Donna Isabelle). Une eau si merveilleuse qu’elle permit à la reine de conserver sa jeunesse. Au 17e siècle, elle est très à la mode auprès des femmes de l’aristocratie, telle Mme de Sévigné qui « s’enivre tous les jours », dit-elle, d’une eau qui sent bon et qui en même temps peut la soulager d’un torticolis. Une eau qui pourtant, dans le conte de Charles Perrault, ne réussit pas à réveiller la Belle au Bois dormant et qui sera supplantée par l’eau de Cologne au siècle suivant. La pharmacopée de Marie Meurdrac aura permis de soulager et d’embellir un bon nombre de femmes de son temps, riches et moins riches, elle qui se rêvait peut-être en apothicaire au féminin, à tenir boutique et à vendre ses propres préparations.
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