POISON des formulaires médiévaux, l’extrait d’if entrait dans la composition des breuvages toxiques des sorcières qui mettaient à profit ses propriétés antispasmodiques et abortives. Rien ne laissait toutefois suspecter l’incroyable richesse médicinale qu’il devait livrer bien plus tard, lorsqu’au début des années 1960 le chimiste Jonathan L. Hartwell (1906-1991) engagea le National Cancer Institute (NCI) dans un programme d’évaluation systématique du potentiel anticancéreux des plantes américaines : parmi elles, Taxus brevifolia, l’if du Pacifique, un arbre connu du nord de la Californie à l’Alaska. Un extrait de son écorce, collectée le 21 août 1962 par le botaniste Arthur S. Barclay (1932-2003) dans la forêt de Gifford Pinchot (état de Washington), se révéla cytotoxique sur diverses lignées tumorales testées en 1964. Les chimistes Mansukh C. Wani et Monroe E. Wall (1916-2002) isolèrent son principe actif, le taxol, en 1966 et en élucidèrent la structure en 1971.
La quantité de taxol potentiellement disponible fut jugée trop réduite pour permettre des recherches cliniques jusqu’à ce qu’un directeur du NCI, Matthew Suffness (1943-1995), décide d’en évaluer malgré tout le potentiel, encouragé par une découverte de la pharmacologue Susan B. Horwitz en 1977 : ce cytotoxique bloquait la mitose d’une façon originale, en empêchant le désassemblage des filaments de tubuline. Le NCI répartit environ 100 g de taxol entre divers centres. Des essais cliniques furent initiés à partir de 1984. Les premiers résultats, publiés en 1988, confirmèrent l’intuition de Suffness : ils révélèrent des rémissions spectaculaires sur des tumeurs ovariennes résistantes, tenues comme inaccessibles à la chimiothérapie.
Une question écologique.
Subsistait un problème épineux. L’écorce de l’if du Pacifique contient fort peu de taxol : le traitement annuel d’un patient imposant d’abattre trois arbres bicentenaires, il était impossible de le produire en quantité suffisante sans dévaster les forêts d’ifs (des organisations environnementales s’opposèrent à leur exploitation dès 1977).
Le NCI lança alors un appel d’offres pour collaborer avec l’industrie. Le laboratoire américain BMS, retenu en 1989, décida peu après de nommer Taxol ce nouveau médicament (le principe actif étant de fait débaptisé et renommé paclitaxel malgré les critiques des scientifiques). Il obtint en 1992 l’agrément de la FDA dans le traitement du cancer de l’ovaire.
Face aux difficultés croissantes d’approvisionnement, BMS décida en 1993 d’exploiter les feuilles de l’if européen (Taxus baccata). Aisément renouvelables, elles contiennent de la 10-désacéthylbaccatine qui se prête à l’obtention du taxol par hémisynthèse selon une voie développée en 1988 par le chimiste français Pierre Potier (1934-2006). Elle fut toutefois concurrencée par une autre voie, celle de l’Américain Robert A. Holton (né en 1944), qui fut retenue par BMS (la synthèse totale du taxol mise au point par plusieurs équipes, dont notamment celle de Holton et celle d’un autre chimiste américain, Kyriacos C. Nicolaou, se révèlent en effet difficile à mettre en œuvre). Le paclitaxel est obtenu depuis 2002 à l’échelle industrielle par culture de cellules en fermenteurs.
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