Certains le rangent dans la famille des charlatans. Une chose est sûre, l’homme était très malin, au point de bientôt rendre jaloux l’ensemble du corps médical français.
« C'est dommage que Molière soit mort ; il ferait une scène merveilleuse de Daquin, qui est enragé de n'avoir pas le bon remède, et de tous les autres médecins, qui sont accablés par les expériences, par les succès, et par les prophéties comme divines de ce petit homme… » Voilà comment s’exprime la Marquise de Sévigné pour décrire le succès criant d’un modeste apothicaire anglais dont la poudre miraculeuse guérit le roi de France et sa famille des fièvres.
À la cour d’Angleterre
On peut dire que le destin de Robert Talbor se joue pendant les années de la Guerre de Hollande où, d’un côté comme de l’autre, les fièvres sévissent et tuent les soldats. En juin 1672, le roi d’Angleterre Charles II est au fort de Sheerness, « l’endroit de toute l’Angleterre le plus fiévreux ». Le soldat en charge de sa protection teste alors une poudre « trempée dans un gros verre de vin blanc » qui le soulage immédiatement de son mal fiévreux, au point qu’il en fait la promotion au monarque anglais.
C’est à partir de cet événement que Robert Talbor fait son entrée à la cour de Londres en tant que Physician to the King. Dans la foulée, il s’empresse d’écrire son Pyretologia qui décrit les vertus de son remède fébrifuge dont il se garde bien de révéler la composition. Aucun mot sur l’écorce de quinquina !
À la cour de France
À l’heure où la transmission du savoir scientifique connaît une embellie dans les cercles érudits, la posture secrète de Talbor agace. Cependant, le célèbre médecin Thomas Sydenham est le premier à comprendre que Talbor a masqué l’amertume du quinquina à l’aide d’épices, d’opium et de substances sucrées. Il dévoile le subterfuge de l’apothicaire, jusqu’à vouloir s’approprier la paternité de la recette. N’en prenant pas ombrage et dépêché par le roi d’Angleterre pour guérir des proches dans d’autres cours européennes, Talbor fait son arrivée à la cour de France en 1678 - précédé par sa réputation de guérisseur - sans oublier de faire la publicité de son remède en grande pompe à l’aide d’affiches placardées qui vantent « le remède anglais ».
Versailles, construit sur des paluds, apparaît comme un triste terrain de jeu pour l’apothicaire, qui se heurte de surcroît au docte savoir de la faculté de médecine. Les deux célèbres médecins de la cour, Antoine Daquin et Nicolas de Blégny, veulent en effet lui barrer la route et comprendre le secret de sa composition au plus vite. Et tant qu’ils ne peuvent se l’approprier, ils la dénigrent. C’est ce qu’on a appelé la « querelle du quinquina ». En 1679, après de multiples essais sur de pauvres malades d’hôpitaux, Blégny réussit finalement à percer le mystère Talbor, mais sans pour autant passer maître dans sa préparation. Ainsi, au chevet du Dauphin et de sa sœur, affligés, Daquin se retrouve totalement incapable de soulager sa Majesté et doit se résigner à laisser sa place à l’Anglais. La victoire de Talbor sur Daquin, qui confine presque à la magie, est célébrée partout dans le royaume. Poèmes, quolibets et pièces de théâtre ne se privent pas de critiquer les grands médecins en robe, humiliés. Même La Fontaine prend sa plume.
Mais il y a aussi le revers de la médaille : Talbor doit vendre le secret de son remède au roi. Un an plus tard, en 1681, à sa mort, la composition de sa poudre miraculeuse est révélée officiellement : deux drachmes de quinquina diluées dans du vin assorti de l’ajout d’une teinture d’opium et d’une teinture de quinquina. On pourrait dire aujourd’hui qu’il s’agissait véritablement d’un remède de cheval car le principe actif, soluble dans l’alcool distillé, rendait la teinture de quinquina redoutablement efficace, voire difficilement supportable à haute dose.
Vers une politique de santé publique
En 1686, c’est au tour du roi, souffrant le martyre au point de ne plus pouvoir avaler, de guérir finalement d’une fièvre quarte grâce au quinquina qui se popularise alors, sous forme de boisson digérable, dilué soit dans le café, le chocolat ou le vin. Presque une coquetterie ! Les courtisans « l’estomac farci de quinquina », comme l’écrit Racine, en raffolent. L’ancêtre du Gin Tonic était né, donnant lieu à une véritable politique de santé publique. Il est en effet intéressant de mentionner que, en dehors des milieux aristocratiques, on réfléchit aussi à la meilleure manière d’administrer du quinquina aux pauvres et aux indigents. Dans cette mission, un médecin d’origine hollandaise se détache. Jean-Adrien Helvétius, qui se soucie particulièrement du soin de l’ensemble de la population et des armées, obtient du roi l’autorisation de distribuer en masse aux hôpitaux les drogues fébrifuges, sous forme de ce qu’on a appelé les « boîtes d’Helvétius ». Parallèlement, l’amertume du quinquina étant très douloureuse pour la bouche, il préconise d’administrer le remède par l’autre voie à l’aide d’un clystère.
Avec le quinquina de Robert Talbor naît ainsi en France, puis en Europe, une prise de conscience d’une politique de santé liée à un remède précis. C’est d’ailleurs ce qu’exprime le médecin italien de Modène Bernardino Ramazzini en affirmant que l’introduction du quinquina a « entraîné dans le champ médical une révolution comparable à celle qu’a entraînée l’introduction de la poudre à canon dans l’art de la guerre ». En effet, en 30 ans, la méthode Talbor a contribué à changer les esprits sur la notion de santé et de remède, notamment parce que, pour la première fois, se fait jour l’idée de remède systématique - de spécifique - efficace de manière empirique. Comme l’annonce de la faillite programmée du galénisme.
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