AUTREFOIS LIEU de méditation, austère et reculé, aujourd’hui lieu de mémoire et de conservation, l’ancien Carmel de Saint-Denis, transformé en musée d’Art et d’Histoire, abrite quelques objets ayant appartenu à l’Hôtel-Dieu de la ville ainsi que son apothicairerie, sauvée par miracle – après une sélection d’objets aléatoire et hâtive - lors de la destruction de l’hospice en 1907. À cette époque, en effet, la notion de patrimoine hospitalier n’avait pas encore bonne presse et le débat allait faire rage pendant plus de cinquante ans. Objets de soin ou objets d’art ? Les pots en faïence et les boiseries 17e-18e siècles de l’apothicairerie sont les deux et revêtent une valeur artistique telle qu’ils ont été sauvegardés. En 1937, l’ensemble reconstitué est entré au musée, magnifié…
Tout commence par un porche orné d’une belle plaque de bois peint représentant un vase à thériaque autour duquel s’enroule un serpent à la manière du caducée d’Esculape, ce fils d’Apollon et de la mortelle Coronis, qui sera élevé par les Centaures dont il apprendra les secrets de la médecine pour en devenir le dieu. Selon la légende, transformé en serpent, il rejoignit Rome accablée par la peste, et ressuscita les morts. Ce miracle s’apparente à celui de la thériaque, antipoison mythique qui, au fil des siècles, varia de composition au rythme des épidémies et dont les vertus n’étaient dues principalement qu’à la dose d’opium ajoutée par Galien dans l’Antiquité. Pot à thériaque ou coupe d’Hygie enroulé d’un serpent, l’emblème de la pharmacie était né !
L’apothicaire, maître des bons dosages.
Une fois passé le porche, on pénètre dans la salle de monstration, prestigieuse et publique. Au centre, sur la table de travail, cinq grands vases balustres nous accueillent tels les maîtres des lieux. Leurs flancs bombés indiquent ce qu’ils contenaient jadis et l’on déchiffre ces mots mystérieux : Opiat Salomon, Orviétan – « O grande puissance de l’orviétan », disait un des charlatans de Molière ! – Lunifar Fin, Catholicum et Thériaque, électuaires universels que seul l’apothicaire avait le droit de préparer sous la surveillance d’un médecin. Habillés de cette faïence grand feu bleue sur fond blanc, à décor de guirlandes et lambrequins, ces vases signent leur provenance des célèbres fabriques de faïence rouennaise et proclament la richesse de l’apothicairerie de Saint-Denis qui fournissait toute la région.
L’impression d’ensemble est luxueuse. Les murs, tapissés d’étagères jusqu’au plafond, exposent différents contenants en merveilleuses faïences de Paris et Saint-Cloud suivant un rangement précis. Les chevrettes pour les liquides et les pots canon destinés aux poudres côtoient piluliers et bassins. En bonne place se tient la balance de l’apothicaire, maître incontesté des bons dosages, ainsi que son escabeau. Une douce Vierge à l’Enfant veille et l’on s’imagine les Filles de la Charité aidant à préparer les remèdes. Ici, des vases d’inspiration chinoise, à la mode vers 1760, et là, un plat à barbe signé « Alexandre Richy, maître chirurgien à Pontoise, 1726 » flattent le regard ; des objets de chirurgien et de barbier en composent le décor pittoresque à nos yeux : mascotte, fausses barbes, cure-dents, cure-oreilles, ciseaux, grosse seringue, et même un instrument de trépanation !
Deux lieux chargés d’histoire.
Coïncidence heureuse, l’apothicairerie de l’Hôtel-Dieu ainsi reconstituée prend en quelque sorte la place de l’ancienne apothicairerie disparue du Carmel. Une huile sur toile de Guillot, aujourd’hui au mur du musée dans une des anciennes cellules de nonnes, montre justement l’infirmerie du Carmel avec les sœurs infirmières au travail et, à l’extrémité gauche, dans l’embrasure d’une porte, son apothicairerie, remplie de pots en faïence sur des étagères peintes. Deux sœurs apothicairesses s’affairent à la préparation des remèdes : l’une pile au mortier et l’autre, sur un escabeau, range un pot canon fermé par un morceau de peau qui préserve de la chaleur et de l’humidité et favorise la conservation des remèdes. À l’origine dans l’infirmerie du Carmel, ce tableau faisait pendant à celui des Carmélites au Jardin où les sœurs cultivent dans le vaste parc qui s’étendait jusqu’à la porte de Paris avant la Révolution. Fleurs, potager et plantes médicinales sont disséminés avec intelligence, comme dans le charmant jardin des simples créé par le musée nous permettant de voir et de sentir les matières premières les plus utilisées par l’apothicaire.
Ces deux toiles, apprend-on, ont été données au couvent par Mme Malard, nourrice de Louis XVI, don royal du fait qu’une fille de Louis XV était entrée au Carmel et y recevait souvent la visite du roi. La belle apothicairerie de Saint-Denis nous fait ainsi revivre deux lieux chargés d’histoire, le Carmel et l’Hôtel-Dieu.
JULIE CHAIZEMARTIN
Ouvert tous les jours sauf le mardi.
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