CE N’EST PAS un cabinet de curiosité, mais ça en a l’aspect. Tout foisonne. Sur une architecture de boiserie aux arrondis élégants et aux colonnettes torsadées, les merveilles, des chevrettes, vases et pots canons en faïence grand feu bleue, voisinent avec les objets extraordinaires, de drôles de tasses à oreilles et des flacons de verre de toutes les tailles, dont le contenu est encore là, mélange improbable de matières animales, minérales et végétales, préservé par un bouchon de liège, derrière une étiquette jaunie. Un œil attentif s’attarde sur les boîtes colorées de motifs floraux qui couronnent les étagères, gardiennes des plantes médicinales ou « silènes », jusqu’au fond de boiserie entièrement peint comme lambrissé. Sur la table de travail, le mortier de bronze orné d’angelots n’attend que d’être utilisé et la balance semble presque avoir bougé. L’apothicaire n’est peut-être pas loin. L’émotion naît. Quelle est cette apothicairerie raffinée où chaque objet semble raconter une histoire ? Trois fleurs de lys peintes sur les cruches nous donnent la réponse. Commande royale, cet ensemble est l’héritage des deux apothicaireries qui existaient, l’une dans la Charité pour les pauvres malades, inaugurée par Marie-Thérèse d’Autriche, femme de Louis XIV, en 1670, et l’autre, dans l’hôpital général royal, créé par Lettres Patentes en 1681, et dont Madame de Montespan, célèbre favorite du roi, devint la directrice.
L’Affaire des Poisons.
Le décor est planté. On sait que le château de Saint-Germain-en-Laye était honoré de visites royales, même si, en 1682, la cour s’installa durablement à Versailles. Alors, on se prête à rêver et notre imagination divague vers les intrigues de la cour en lisant le nom des substances et breuvages utilisés probablement par les nobles dames et les gentilshommes. Inévitablement, on pense à l’Affaire des Poisons, une des plus retentissantes du Grand Siècle qui éclata entre 1679 et 1682 et dont les chroniques mondaines firent des gorges chaudes. Des personnes estimables furent impliquées suite aux déclarations d’une accoucheuse appelée La Voisin qui avoua à l’inspecteur de police La Reynie, engagé par Louis XIV, que la haute société venait chez elle se fournir en filtres d’amour et onguents mais aussi en produits mortels. Le plus bel exemple fut une poudre de succession que la marquise de Brinvilliers se procura pour empoisonner sa famille et obtenir l’héritage. On la brûla sur le parvis de Notre-Dame ! La Montespan fut aussi mise en cause, suite à la mort de sa jeune rivale auprès du roi, Mademoiselle de Fontanges. L’apothicaire ne put qu’être visé, étant de son état autorisé officiellement à vendre des substances toxiques, même s’il n’en connaissait pas toujours l’utilisation criminelle. Arsenic, orpiment et sublimé connurent leur heure de gloire. Les jugements de la Chambre Ardente, instituée pour ces crimes d’empoisonnement par Louis XIV – qui craignait aussi pour sa vie - menèrent alors à la rédaction d’un édit royal en 1682 stipulant que « seront punis de mort tous ceux qui seront convaincus de s’être servi de poison […], comme ceux qui ont préparé ou procuré le poison ». Désormais, les substances vénéneuses devraient être gardées dans un lieu fermé et leur vente inscrite sur un registre. Une législation stricte qui posait les bases de la réglementation actuelle de la pharmacie.
L’Onguent du Roi.
Sur l’étagère centrale, les deux grands pots d’apparat, probablement en faïence de Nevers, devaient conserver la Manne et la Thériaque, panacées universelles. Dans les fioles, les eaux de tilleul, plantain, lavande, laitue et fenouil, aux vertus multiples, étaient les composantes de nombreux remèdes. Sont aussi présents les classiques opiat, orgeat, moutarde, chanvre, quinquina et les plus insolites vitriol ou poudre de coloquinte qui servaient à la préparation d’élixirs complexes décrits en 1676 par l’apothicaire Moyse Charas dans son ouvrage pharmacopée royale, galénique et chimique. Et la statue de la Vierge à l’Enfant avec Sainte Anne, donnée selon la légende par Louise de Marillac (fondatrice avec Saint Vincent de Paul de l’ordre des Filles de la Charité), surveillait la fabrication de l’Onguent du Roi dont voici la recette : « Il faut prendre trente crapauds que vous mettez dans quatre litres d’huile d’olive sur un petit feu et puis vous passez le liquide par le linge ».
L’apothicairerie de Saint-Germain-en-Laye, microcosme de la pharmacopée de l’Ancien Régime, ranime le souvenir d’une époque sulfureuse.
Renseignements : 01 34 51 05 12
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