LA ROCHELLE au Moyen âge : on s’imagine son port empli de bateaux, où se croisent armateurs, commerçants et négociants à la recherche de bonnes affaires. La ville grouille d’une population cosmopolite et s’enorgueillit d’être le plus grand port de la côte Atlantique. Les charrettes roulent sur le pavé transportant des produits venus d’un ailleurs méconnu. Les animaux, les fruits, les épices, les vins achalandent les marchés, les épiciers et les apothicaires.
Au milieu de cette foule, un riche armateur rêve de l’Afrique. Il décide d’y envoyer sept de ses navires. Le pari est osé. Ses embarcations, chargées de sel et du fameux vin charentais, partent à la conquête de nouveaux commerces et de nouveaux territoires. L’armateur attend donc fébrilement, pendant des mois, le retour de ses bateaux. Mais ces derniers tardent trop. Peut-être auront-ils été attaqués par quelque drakkars, pense-t-il. L’horizon, d’habitude si chargé, reste donc désert. Plus le temps passe, plus l’attente devient intenable, si bien qu’Alexandre Aufrédi* est obligé de vendre tout ce qu’il possède. Il finit même par mendier pour manger. Complètement ruiné, il est à l’image du plus pauvre bougre du port.
Mais un matin de l’an 1203, sept ans après le départ de l’expédition maritime, un miracle se produit : les navires reviennent, débordant d’or, d’ivoire, de bois précieux et d’épices. Grâce à ce retour inespéré, Alexandre Aufrédi retrouve rapidement sa situation d’avant, gagnant même l’opulence. L’histoire déjà romanesque le devient encore un peu plus lorsque l’on apprend que, en remerciement à Dieu pour avoir fait revenir ses navires, notre riche armateur décide de créer un lieu destiné à accueillir les pauvres et les malades, en qui il se reconnaît désormais. Il fonde l’hôpital qui porte son nom, un des premiers de France. Avec sa femme Pernelle, il ne cessera, jusqu’à sa mort, de s’occuper des malades. En 1628, Louis XIII donnera l’hospice aux Frères de la Charité et, en 1811, il sera transformé en hôpital militaire. Du bâtiment du XIIIe siècle, il ne reste aujourd’hui presque plus rien, mais on peut toujours lire en très grosses lettres, au-dessus d’une porte donnant sur la rue Aufrédi, le nom de cet armateur hors du commun.
De curieux pots de faïence.
Alors que l’on a encore en tête la fabuleuse histoire de l’armateur rochelais, on découvre les salles du musée avec émerveillement. Une multitude d’objets asiatiques forme un ensemble somptueux. Sont-ils eux aussi arrivés ici sur des chaloupes parties du port de La Rochelle ? On entre ensuite dans la salle de l’apothicairerie où les imposantes boiseries sont si grandes qu’elles ont dû être rabotées pour tenir en place. À l’intérieur, une série d’environ 80 pots de pharmacie révèle une faïence au décor original : un camaïeu bleu représentant des branches fleuries aux multiples ramifications. Floral et naturaliste, ce décor, bien que d’inspiration nivernaise, semble être dû à des artistes locaux. En effet, on sait que, en 1722, une manufacture de faïence, dont l’activité fut éphémère, fut créée au sein de l’hôpital général. Elle aurait produit plus de 70 000 pièces, dans le style de Rouen et de Nevers, ce dont témoignent encore un magnifique plat ovale au décor de grand feu et plusieurs pots-canons qui proviendraient de l’hôpital Saint-Louis de La Rochelle.
L’apothicairerie de l’hôpital Aufrédi fut, elle, créée plus tard, en 1750, alors qu’une nouvelle manufacture venait d’ouvrir à Marans grâce à deux notables, Jean-Baptiste Bottelin de Lincé et Pierre Roussencq. Celle-ci rencontra des difficultés de fonctionnement, et pour aider à la production, deux autres négociants investirent, Henri Brevet et Daniel Besse de La Barthe. Les pots de l’apothicairerie proviendraient de cette manufacture. Malheureusement, on n’en sait pas plus sur ces curieux pots car toutes les archives ont été détruites.
Leurs entrelacs bleus nous rappellent cependant que les plantes sont indispensables à l’art pharmaceutique. La matière animale, l’est aussi, ce que nous rappelle, à son tour, le beau buste en bronze, de René-Antoine Ferchault de Réaumur, réalisé par le célèbre sculpteur Jean-Baptiste Lemoyne. En effet, René-Antoine Ferchault de Réaumur fut un grand scientifique, natif de La Rochelle, qui s’intéressa de très près aux insectes et aux mollusques, ainsi qu’à la métallurgie et à la porcelaine (si bien qu’un verre blanc opaque est connu sous le nom de « porcelaine de Réaumur »). On pense donc qu’il est en bonne place dans l’apothicairerie rochelaise.
Le sel de La Rochelle.
Il ne manque plus que la matière minérale ! Et c’est là que l’on tombe nez à nez, dans la seule vitrine de la pièce, avec un paquet de sel de Seignette, reconnaissable au cygne gravé dessus, un des emblèmes de la grande famille protestante rochelaise des Seignette. Appelé aussi sel de La Rochelle ou sel polychreste, il fut découvert au milieu du XVIIe siècle par deux frères de cette famille, Élie et Jean. Ce purgatif salin, premier essai d’une médication nouvelle, dite chimique, dont le secret de fabrication dura près d’un siècle (le tartrate de soude et de potasse ne furent révélés qu’en 1731 par le chimiste Boulduc), eut un succès phénoménal, jusqu’à être adopté par les têtes couronnées, et même à l’étranger, en Angleterre et en Amérique. Il fut également victime de nombreuses contrefaçons, ce qui amena Élie Seignette à écrire un ouvrage, en 1675, le « Traité du faux polychreste » pour faire connaître combien il diffère de celui qu’ont inventé Jean Seignette, docteur en médecine, et Élie Seignette, son frère.
Lorsque l’on sort du musée, un souffle d’air marin accompagne nos pas rue Saint-Côme. On tourne rue Aufrédi et rue Pernelle. On va jusqu’au port admirer les bateaux et on se dit que bien des substances ont dû circuler dans les apothicaireries rochelaises, ramenées par les grandes expéditions maritimes, parties à la découverte du Nouveau Monde, ou par le fructueux commerce triangulaire.
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