Pourquoi certains symboles meurent-ils ? C’est à ce destin funeste de certains emblèmes que fait réfléchir une icône déchue de la pharmacie : le crocodile. Le serpent du caducée n’est en effet pas le seul reptile à avoir été adopté par les pharmaciens français et européens au cours de l’Histoire. En témoignent de vieux mâche-bouchons à quatre pattes, écailles rocailleuses et gueule allongée, ou d’anciennes gravures représentant, suspendus dans des apothicaireries, des corps de bêtes musculeuses à dents acérées : le crocodile a jadis lui aussi orné nombre d’officines.
Et ce, potentiellement dès le Moyen-Âge : le Pr Bruno Bonnemain, Président de la Société d’Histoire de la Pharmacie, suggère que des crocodiles pouvaient alors être échangés dans le cadre du commerce d’épices. À noter toutefois que l’intérêt pour les crocodiles pourrait plutôt coïncider avec « l’exploitation coloniale des pays d’Amérique centrale et des îles des Caraïbes », nuance Kevin Hütten, collaborateur scientifique du musée de la Pharmacie de Bâle – où sont exposés des crocodiles empaillés.
Quoi qu’il en soit, pour tenter d’expliquer la présence du reptile dans les officines d’antan – qui demeure mystérieuse, admet Kevin Hütten –, des auteurs notent la puissance évocatrice du crocodile, sorte de Leviathan, incarnation d’une force indomptable, de la vie et de la mort, de la damnation et de la rédemption. Par ailleurs, l’animal aurait été utilisé comme source de médicaments – citons la « crocodilée », préparation à base de crocodile indiquée « contre les suffusions et cataractes des yeux » décrite par Ambroise Paré.
Leviathan publicitaire
Cependant, force est de constater que le crocodile a disparu du paysage officinal. Aux yeux du Pr Bonnemain, l’animal n’était sans doute pas assez profondément associé à la pharmacie : les remèdes au crocodile s’avéraient probablement rares, et l’historien de la pharmacie affirme que le reptile ne compte pas parmi les principaux signes alchimiques utilisés dans les pharmacopées de l’époque.
En fait, l’utilité du crocodile pourrait avoir été surtout publicitaire, l’exhibition de l’animal permettant de montrer qu’un pharmacien avait les moyens de se procurer des produits provenant de contrées lointaines, entrevoient le Pr Bonnemain et Kevin Hütten. Or difficile pour une simple stratégie commerciale de traverser les âges. Ainsi, à partir du XVIIIe siècle, la diffusion des épices et autres produits exotiques – moins rares donc moins fascinants –, et les mutations du métier d’apothicaire (séparation avec les épiciers, puis arrivée de nouvelles spécialités pharmaceutiques, et finalement développement de la dispensation au détriment de la préparation) ont pu précipiter l’abandon des crocodiles, devine le Pr Bonnemain. Au contraire, le serpent enroulé autour de la coupe d’Hygie – à la charge symbolique moins superficielle, plus étroitement liée à la pharmacie, et associée à l’idée toujours moderne d’une proximité entre médicaments et poisons - a, lui, perduré.
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