C’est un des premiers apothicaires à nous avoir laissé le récit de son voyage au bout du monde. François Martin, originaire de Vitré, a déjà fait le tour de France. Il s’est d’ailleurs arrêté plus longuement à Montpellier pour y faire ses études de pharmacie. À l’aube de ses 30 ans, sa soif d’ailleurs est loin d’être assouvie. Il rêve désormais de paysages exotiques et d’aventures. C’est pourquoi il adhère à la Compagnie des Mers Orientales qui appareille deux navires depuis Saint-Malo : le Corbin, 200 tonnes, et le Croissant, 400 tonnes. Leur objectif est d’atteindre les îles Moluques, dans l’Est indonésien. Là-bas se trouve déjà la Compagnie de Moucheron, une Hollandaise qui se porte à merveille en dégageant d’énormes bénéfices. Le but de cet extraordinaire voyage au long cours est clair. Il s’agit de partir à la conquête de nouveaux territoires pour en explorer les trésors, sur les traces de Marco Polo et Vasco de Gama.
À l’origine de cette aventure, plusieurs marchands de Laval, Vitré et Saint-Malo se sont associés pour créer une entreprise maritime, la Compagnie des Mers Orientales, dont l’objet est de « naviguer et négocier dans toutes les Indes et mers orientales ». L’idée est avant tout de concurrencer l’hégémonie portugaise et hollandaise sur le commerce des épices. Dans les îles indonésiennes, ces deux nations se sont déjà affrontées pour contrôler deux épices rares, la noix de muscade et le clou de girofle. Imaginez-vous qu’un gramme de poudre de muscade valait plus cher qu’un gramme d’or à l’époque ! Or la France, exsangue suite aux guerres de religions, doit relancer son économie. Le roi encourage donc les expéditions maritimes qui prennent des airs de chasse aux trésors.
L’appel du large et l’espoir de richesse conduisent notre apothicaire à s’embarquer à bord du Croissant, le 18 mai 1601. Un voyage qu’il relate dès son retour, en 1603, dans sa « Description du premier voyage fait aux Indes Orientales par les Français en l’an 1603, contenant les mœurs, lois, façon de vivre, religions et habits des Indiens : une description et remarque des animaux, épicerie, drogues aromatiques et fruits qui se trouvent aux Indes, un traité du scorbut, qui est une maladie étrange qui survient à ceux qui voyagent en ces contrées ». Le tout est dédié au roi et nous laisse aujourd’hui un éclairage précieux sur cette expédition historique.
De Saint-Malo à Sumatra
François Martin raconte que les embarcations atteignent les îles Canaries le 3 juin, qu’elles se trouvent au large du Cap Vert les 12 et 13 juin, qu’elles longent les côtes de Guinée vers le 14 juillet, qu’elles subissent une attaque portugaise fin août aux alentours de l’île d’Ano Bom, et qu’elles font escale sur l’île de Sainte-Hélène le 17 novembre. À chaque endroit traversé, il fait une description succincte de la faune et de la flore et l’on ressent sous sa plume tout l’enthousiasme de la découverte de choses inconnues. Il nous indique aussi les malheurs du voyage, en particulier les marins qui succombent régulièrement au scorbut. Mais il remarque également que les scorbutiques ont recouvré la santé sur l’île de Sainte-Hélène, un vrai petit paradis terrestre, rempli d’eau fraîche, d’animaux et de plantes de toutes sortes, dont certains ont été introduits par les Portugais, comme les chèvres et les sangliers, ou la graine de moutarde et le fenouil. L’expédition poursuit sa route vers le cap de Bonne Espérance, puis Madagascar, où elle essuie une terrible tempête qui l’oblige à faire escale. C’est au large des Maldives que le Croissant assiste, impuissant, au naufrage du Corbin. Il n’interrompt pas pour autant son voyage et met le cap sur Ceylan.
En juillet 1602, l’expédition atteint enfin son but, Sumatra. « En cette île, il y a plusieurs rois, s’y trouve quantité d’or et cuivre et beaucoup de pierreries et drogues aromatiques », rapporte François Martin, qui décrit aussi l’effervescence de ce carrefour commercial où il croise des Turcs qui vendent du poivre, mais aussi des marchands de Ceylan ou du Bengale qui font commerce de draps de soie et de coton, de vaisselle de porcelaine, d’épices et de pierreries. En bon ethnologue, il prend également soin de décrire les mœurs et pratiques religieuses qu’il a pu observer et consacre même un chapitre à un petit dictionnaire malais-français, probablement un des premiers du genre ! En novembre 1602, le Croissant est rempli de poivre et prêt à repartir en Occident. Un retour qui sera particulièrement difficile puisque le navire fera finalement naufrage, tandis que l’équipage et sa cargaison seront recueillis à bord d’un bateau flamand.
Description du bézoard et autres curiosités des Indes
Notre apothicaire se fait un devoir de mentionner le bézoard, connu déjà des Occidentaux et qui se trouve dans le ventre des chèvres au pays des Indes orientales, efficace comme anti-venin. Il indique qu’il faut dissoudre trois grains de ces pierres dans du vin blanc ou des eaux cordiales. Évidemment, il s’attarde sur les différentes sortes de poivre, de Malaca, de Java et de Sumatra, mais aussi sur la noix de muscade, le gingembre, le clou de girofle, la cannelle et le curcuma dont « les Indiens se servent pour l’assaisonnement de leur viande ». Suivent le benjoin, le camphre et l’ambre. Plus étonnant, l’arbre triste qui ne fleurit que la nuit et dont les fleurs distillées servent à soigner la maladie des yeux. Enfin, vient la noix de coco « le plus grand et principal nutriment de tous les Indiens » et qui est « fort excellente, ayant un bon goût, elle sert à se désaltérer et nourrir de façon qu’ayant ces fruits, on peut vivre commodément ». François Martin admire cette plante qui sert à tout et dont on tire aussi de l’huile, du lait, et dont on fait une liqueur nommée arack. Il note que les fibres de sa pulpe peuvent être utilisées comme remède contre les coliques, les paralysies, les épilepsies et autres maladies nerveuses. Autres fruits vertueux, la banane dont « les Indiens disent que c’est le fruit de la vie » et l’ananas qui ne se trouve, en France, que dans les jardins du Roi.
Description du scorbut et de son remède
Le dernier chapitre est dédié au scorbut, une maladie qu’il a vue de près et qu’il a essayé de soigner. Il observe une difficulté à respirer, des œdèmes aux jambes, et aux pieds, des douleurs aux reins, une mauvaise haleine, des gencives pleines d’ulcères, des veines très noires, la perte des dents et « le ventre est quasi toujours constipé, et néanmoins, ils font de grands efforts comme si leur ventre se devait entrouvrir », d’où le nom du mal « scorbut » qui signifie ventre ouvert. François Martin précise qu’il a pratiqué l’ouverture des corps des morts pour en examiner le mal, constatant « des abcès dans la ratte, les poumons aussi secs et arides que du parchemin ». Pour se préserver de la maladie, il recommande de prendre un petit morceau de Mithridate ou de Thériaque vieille et surtout de boire du jus de citron ou d’orange régulièrement et de manger de l’oseille et « une herbe appelée Coclearia, qui semble porter en soi le vrai antidote ». Il s’agit en effet de la cochléaire officinale, aussi appelée herbe au scorbut, très riche en vitamine C et qui fut plus tard préconisée aux marins, en même temps que l’usage des citrons.
De retour sain et sauf, François Martin est autorisé par lettres patentes du roi à ouvrir une apothicairerie à Rennes, sans avoir à passer l’examen devant la corporation des maîtres-apothicaires. Une boutique qui regorgeait probablement d’épices lointaines, en souvenir de sa courageuse épopée.
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