À la veille de la guerre, la pharmacie française, partiellement réglementée par Napoléon en 1803, notamment en matière de formation et de validité des diplômes, ne bénéficie pas d’un cadre juridique adapté à son fonctionnement et son évolution récente. Les manques étaient particulièrement criants dans le domaine industriel. La loi de 1941, certes marquée de l’influence de Vichy, s’inscrit donc dans une réflexion sur l’organisation pharmaceutique entamée une vingtaine d’années plus tôt.
Rédigée par Serge Huard, médecin secrétaire d’État à la Famille et la Santé et signée par le maréchal Pétain, la loi se compose de huit titres formant 16 « chapitres ». Certains d’entre eux sont essentiellement techniques, en définissant par exemple le cadre et les missions de l’inspection pharmaceutique, mais d’autres sont plus « politiques », en premier lieu la création d’un « Conseil supérieur de la pharmacie » qui coiffe des « Chambres régionales » et « départementales » de pharmaciens, dotées de pouvoirs administratifs et disciplinaires. Le Conseil supérieur et les Chambres représentent les pharmaciens auprès des pouvoirs publics, mais aussi auprès de l’occupant. Certes, les pharmaciens appelaient depuis longtemps de leurs vœux la création d’une structure représentative, et un projet de loi sur la création d’un Ordre des pharmaciens, avec des échelons national, régionaux et départementaux fut même présenté dès 1928, mais n’aboutit pas. Mais le Conseil et les Chambres issus de la loi de 1941 sont bien différents : les syndicats, tous dissous en 1940, en sont bien sûr exclus, et la direction du Conseil et des Chambres, très centralisée, est confiée à des fonctionnaires nommés par l’État. Notons par ailleurs que la loi de 1941 ignore le terme d’« Ordre » des pharmaciens… alors que plusieurs autres professions libérales, dont les médecins et les architectes, se voient dotées dès 1940 d’ordres professionnels.
Monopole et conditions d'exercice
Dans ses titres I et II, la loi donne aux pharmaciens le monopole de la préparation et de la distribution des médicaments, des pansements et des plantes médicinales, en gros comme en détail. Elle définit la notion de médicament et précise les conditions nécessaires à l’exercice de la profession de pharmacien. Les titres III et IV portent sur l’exercice de la pharmacie, y compris l’interdiction des remèdes secrets et la réglementation de la publicité, tant « technique » que pour le grand public. Certains termes sont interdits dans les publicités, comme celui de « guérir ». La loi limite les créations de nouvelles officines, avec des quotas variables selon que la pharmacie se trouve en zone urbaine ou rurale. Là aussi, les pharmaciens réclamaient avant la guerre une telle limitation, avant tout pour des raisons d’équilibre entre les villes et les campagnes, et un projet dans ce sens, présenté en 1938, suggéra de soumettre les demandes de création à une autorité préfectorale, en fonction de quotas. La loi de 1941 fixe le nombre d’officines à une pour 3 000 dans les villes de 30 000 habitants et plus, une pour 2 500 dans celles comptant de 5 000 à 30 000 habitants, et une pour 2 000 dans les autres cas. Dans les zones où cette densité est déjà supérieure, les officines « surnuméraires » devront fermer après le départ de leur titulaire. La question des quotas, comme des transferts, a donné lieu, depuis, à d’innombrables dérogations, plus ou moins sévères selon les époques…
Le titre V donne pour la première fois un cadre précis à l’activité des pharmaciens grossistes répartiteurs, alors appelés droguistes répartiteurs. Il établit leurs compétences et leurs missions, et les dote d’une « Chambre », qui deviendra en 1945 la section C du Conseil de l’Ordre. De même, il définit le rôle et les fonctions des « pharmaciens fabricants », c’est-à-dire les actuels pharmaciens de l’industrie, qui constitueront ensuite la section B de l’Ordre. Ce titre définit aussi la « spécialité pharmaceutique », soumise à l’obligation d’obtenir un visa avant toute commercialisation.
Le titre VI réforme et élargit le rôle et les compétences de l’inspection pharmaceutique. Enfin, le titre VII met fin au métier d’herboriste : à compter de septembre 1941, il n’est plus enseigné et nul ne peut ouvrir une herboristerie sans être pharmacien. Toutefois, les herboristes en activité avant la loi conservent le droit d’exercer jusqu’à leur retraite.
Refonte à la Libération
Par ailleurs, on ne saurait aborder la pharmacie sous Vichy sans citer un autre texte, certes distinct de la loi de septembre, mais qui frappera durement les pharmaciens juifs : selon la loi du 2 juin 1941 sur le « statut des juifs », ces derniers sont exclus de la plupart des activités commerciales et libérales, dont la pharmacie. En décembre 1941, une « dérogation » permettra toutefois aux pharmaciens juifs de poursuivre leur activité, à condition que leur nombre n’excède pas 2 % du total des pharmaciens.
À la Libération, une grande partie de la législation mise en place par Vichy fut déclarée nulle et abrogée, dont plusieurs chapitres de la loi sur la pharmacie : le 15 septembre 1944, une ordonnance rétablit les organisations syndicales des pharmaciens dans les droits et les attributions qu'elles détenaient au moment de leur dissolution. Comme l’analysent les Archives nationales, « l'ordonnance du 5 mai 1945 constatait la nullité du titre II, relatif à l'organisation professionnelle, et créa un Ordre des pharmaciens à la place des Chambres et du Conseil supérieur. L’ordonnance consacra la séparation des pouvoirs : d'un côté le pouvoir moral de l'Ordre, de l'autre la défense des intérêts matériels par les syndicats ». Le doyen de la faculté de pharmacie de Paris, le Pr Augustin Damiens, fut nommé président du Conseil supérieur de la pharmacie par le gouvernement provisoire de la République, puis devint le premier président de l’Ordre, en mai 1945. Unanimement respecté, il disparut à l’âge de 60 ans le 3 août 1946. Son successeur fut Frank Arnal, pharmacien d’officine à Toulon, grand résistant et député du Var, qui resta président de l’Ordre jusqu’en 1979, à l’exception des années 1954 à 1961.
Plusieurs des titres et chapitres de la loi de 1941 conservés après la Libération furent réécrits quasiment à l’identique, pour former la « loi du 11 septembre 1941, validée et modifiée par l'ordonnance du 23 mai 1945 sur l'exercice de la pharmacie ».
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