DANS LE HALL d’entrée du musée, deux grandes vitrines présenteront une cinquantaine de pots choisis avec soin par Laurence Tilliard, conservatrice au département du Moyen âge et de la Renaissance à la Cité de la Céramique de Sèvres : « L’idée est de montrer que, autour de l’histoire de la pharmacie, c’est l’histoire des routes commerçantes et des techniques artistiques qu’on découvre. » D’Orient en Occident, en effet, pendant des siècles, les pots à pharmacie ont voyagé avec leurs précieux contenus, amenant avec eux les connaissances médicales et la pharmacopée arabes, mais aussi les secrets d’une céramique considérée comme une invention majeure des ateliers de potiers du monde musulman, la céramique lustrée, fabriquée dans l’Irak florissant des Abbassides, dès le IXe siècle. Une technique complexe nécessitant plusieurs cuissons pour faire pénétrer dans la glaçure de la surface de l’objet un décor raffiné constitué d’un mélange d’oxydes de cuivre et d’argent. En fin de processus, à la sortie du four, la céramique est lavée à l’eau et révèle alors tout l’éclat chatoyant de ses reflets lustrés. Inutile de dire que ces objets furent rapidement très prisés et exportés. De magnifiques albarelli, fabriqués en Irak ou en Syrie, parcoururent ainsi des milliers de kilomètres pour atterrir à Malaga, en Espagne, où leur décor à reflets métallique et bleu cobalt, composé de formules magiques, fascine toujours et entretient un voile de mystère sur l’utilisation des drogues qu’ils contenaient. Peut-être des aphrodisiaques, des stimulants sexuels, des poudres de longue vie… On pense aujourd’hui que certaines de ces étranges inscriptions s’apparentaient à des incantations, probablement en rapport les maladies ravageuses, telles que la peste. Les ateliers de Valence et de Manisès prirent le relais au XIVe siècle et ont fourni de magnifiques exemples de ce savoir-faire islamique que l’on admire aujourd’hui. Des faïences que l’on appelle damasquinée ou de style hispano-mauresque.
Un florilège de décors.
À l’époque médiévale, les échanges commerciaux et intellectuels s’amplifièrent considérablement entre le monde musulman et l’Occident chrétien. Des ouvrages scientifiques et philosophiques, en particulier de médecine, de géographie et d’astronomie, circulent par-delà les frontières et sont traduits de l’arabe au latin. C’est en particulier par Constantinople, ainsi que par la Sicile et le sud de l’Espagne que le savoir oriental se propage en Europe, et en premier lieu en Italie.
Dans ce contexte, les pots à pharmacie ne sont pas que des objets utilitaires. Il s’agit de les redécouvrir avec un regard plus civilisationnel. Ils sont en effet les témoins de nouvelles techniques de fabrication, les acteurs discrets de l’intense activité commerciale des califats, le lieu de toutes les fantaisies d’artistes aussi. Destinés à des maisons de charité, des hôpitaux de ville ou de grandes familles d’aristocrates, tout un florilège de formes s’est décliné sur leurs parois bombées et lustrées. Au XVe siècle, l’Italie qui réforme ses hôpitaux passe plusieurs commandes à l’Espagne, puis crée ses propres ateliers dans les villes de Derruta, Cafaggiolo et Gubbio. Les céramiques deviennent alors plus colorées, recouvertes de peintures mythologiques ou de visages, quand ce n’est pas les écus des plus grandes familles italiennes de la Renaissance qu’on y a peint.
Une incroyable collection.
L’exposition est l’occasion de mettre en valeur l’incroyable collection de pots à pharmacie de la Cité de la Céramique. Plusieurs pots sont montrés pour la première fois. Ils sortent des réserves. Des vases chinois en particulier, plus rares, qui contenaient des aromates, des feuilles de thé ou du gingembre, et qui circulaient sur la route de la soie jusqu’en Arabie.
Certains étaient suspendus dans les maisons, d’autres, de plus petites tailles se portaient à la ceinture. Les plus connus sont les pots de porcelaine aux motifs bleu et blanc, sortis des fours de Jingdezhen, au centre-sud de la Chine. Ils constituèrent un modèle de perfection encore inconnu dans le monde musulman et c’est pour les imiter que les potiers du Moyen-Orient inventèrent leur fameuse faïence glaçurée.
Une restauratrice-pharmacienne.
L’ensemble de ces pots a dû être nettoyé ou restauré pour être exposé. Quel lieu plus idéal que la Cité de la Céramique de Sèvres, ses grands ateliers et ses grands laboratoires, sa réserve unique de couleurs, pour faire à nouveau briller de tout leur éclat les belles faïences pharmaceutiques ? C’est la mission de Véronique Milande, restauratrice à la Cité de la Céramique, dont le premier métier, coïncidence amusante, fut pharmacienne pendant près de 20 ans à Saint-Ouen ! Elle parle avec passion de ses deux métiers qui ont en commun le goût de la chimie (et des soins !). « J’avais toujours eu envie de faire de l’histoire de l’art. Mes connaissances en chimie m’ont aidée pour me former au métier de restauratrice d’œuvres d’art. J’ai repris des études. J’ai l’impression d’avoir une grande chance d’être à Sèvres aujourd’hui. Restaurer des pots à pharmacie, ce ne peut être qu’un signe du destin ! », raconte-t-elle avec humour.
Dans un cadre privilégié, la Cité de la Céramique de Sèvres, l’histoire de la pharmacie dévoile ses plus beaux atours, des objets de soin mais aussi de luxe, représentants privilégiés de la transmission des savoirs dans l’ensemble du monde méditerranéen. L’exposition ouvrira ses portes le 10 juillet prochain jusqu’au 7 octobre, alors que le Congrès international de l’histoire de la pharmacie se tiendra en parallèle, du 10 au 14 septembre à Paris, aux Cordeliers, 15 rue de l’École-de-Médecine. L’occasion de découvrir aussi la salle de l’apothicairerie dans les collections du musée.
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