Allemagne

Quand les automobilistes faisaient leur plein… à la pharmacie

Publié le 01/10/2015
Article réservé aux abonnés
L’histoire de la pharmacie d’officine est riche en conquêtes, mais aussi en pertes de marchés et de domaines d’activité. Parmi ceux-ci, bien oublié aujourd’hui… le carburant pour les automobiles, un petit secteur qui aurait sûrement changé le visage de la profession s’il s’était maintenu…

La publication récente, en Allemagne, d’une histoire des stations-service a rappelé que la première station-service au monde, ou du moins officiellement reconnue comme telle, était une pharmacie, et que le premier pompiste était donc… pharmacien. En août 1888, Bertha Benz, l’épouse de l’ingénieur Carl Benz - l’un des deux fondateurs de la firme Mercedes-Benz - décida de prendre l’un des tricycles à pétrole conçus par son époux, la Benz n° 3, pour rendre visite à sa mère. Accompagnée de ses deux fils, elle se rendit ainsi de Mannheim, sur le Rhin, jusqu’à Pforzheim, en Forêt-Noire, soit une centaine de kilomètres qu’elle parcourut à 15 km/h de moyenne, un événement extraordinaire pour l’époque.

Il n’existait évidemment alors aucune installation pour les automobiles, si bien qu’elle fut obligée de « faire le plein en route » en achetant dans plusieurs pharmacies des bouteilles d’essence, dont elles avaient alors le monopole. La première pharmacie où s’arrêta Mme Benz se trouvait à Wiesloch, non loin de Heidelberg, et elle y acheta plusieurs bouteilles. Mme Benz dut encore, au cours de son voyage, se ravitailler plusieurs fois, mais la pharmacie de Wiesloch, ainsi que son titulaire, Willy Ockel, peuvent se vanter d’avoir été la première station-service et le premier pompiste de l’histoire. Le carburant utilisé à l’époque était une essence qui servait de produit de nettoyage, la ligroïne ou éther de pétrole. La ligroïne est toujours employée comme solvant de nos jours, et classée par ailleurs comme produit toxique et hautement inflammable.

Jusqu’au tout début du XXe siècle, les pharmacies continuèrent à approvisionner les automobiles en essence, et ce dans tous les pays, y compris en France. Toutefois, les pharmaciens, dans notre pays, n’avaient pas le monopole de l’essence et les voitures pouvaient faire le plein dans les drogueries et les épiceries. L’essence, d’abord vendue en bouteilles, fut ensuite disponible en bidons de 5 ou 10 litres, ce qui permettait d’améliorer l’autonomie des voitures… Il faut attendre 1898 pour voir apparaître, aux États-Unis, la première véritable « pompe à essence », lesquelles n’arriveront en Europe que plusieurs années plus tard. Les pharmaciens perdent progressivement le marché de l’essence au profit des garages, puis des compagnies pétrolières… il n’est pas interdit de rêver en se demandant ce qui serait arrivé s’ils l’avaient conservé.

Les amateurs d’automobiles anciennes, comme la pharmacie de Wiesloch, n’ont pas oublié la visite historique de Bertha Benz : en 1988, pour son centenaire, une plaque a été apposée sur la pharmacie, qui existe toujours et une statue fut réalisée pour commémorer l’événement. Depuis 2008, un itinéraire historique, emprunté lors des rallyes de véhicules anciens, passe juste à côté de l’officine. Celle-ci, malheureusement, ne peut plus ravitailler les bolides d’antan : depuis quelques années, elle se trouve… au cœur d’une zone piétonne.

Denis Durand de Bousingen

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3204