C’est en 1962 que Gilbert Carraz, titulaire de la chaire de pharmacodynamie à Grenoble, s’intéressa aux propriétés anticonvulsivantes de la khelline, un spasmolytique extrait d’une ombellifère péri-méditerranéenne, Amni visnaga. Il en confia l’étude à un thésard, Pierre Eymard. La synthèse de dérivés de la khelline ne fit pas problème, mais des difficultés surgirent sitôt qu’Eymard voulut les tester : insolubles dans les solvants classiques, il était impossible de les injecter.
Le doctorant prit alors l’avis d’Hélène et d’Yves Meunier, chercheurs chez Berthier à Grenoble - un laboratoire pharmaceutique de longue date disparu -. Ces derniers lui conseillèrent l’acide dipropylacétique, un solvant organique qu’ils avaient utilisé pour dissoudre des dérivés du bismuth. Également connu sous un nom désormais médiatisé, celui d’acide valproïque, ce produit avait été synthétisé en 1882 par un chimiste américain travaillant en Allemagne, Beverly S. Burton (1846-1904) et passait pour bénéficier d’une heureuse inertie pharmacologique. De fait, il solubilisa les composés d’Eymard dont l’administration prévint chez le lapin les convulsions induites par le pentylène-tétrazole. Les dérivés de la khelline semblaient dès lors promis à une belle carrière pharmaceutique…
Le solvant à l’œuvre
L’histoire dut ensuite tout au hasard. Ici, il voulut qu’Hélène Meunier utilise peu après ce même solvant pour dissoudre de la coumarine, un AVK dont on explorait à l’époque le potentiel pharmacologique. Étonnamment, elle se révéla avoir les mêmes propriétés anticomitiales que la khelline. Semblable coïncidence avait de quoi intriguer : le point commun n’était-il pas le solvant des substances expérimentées ? Elle s’en confia à Carraz qui testa l’acide valproïque… lequel se révéla effectivement doté de puissantes propriétés anticonvulsivantes !
Carraz essaya dès lors le sel sodique de l’acide, solide, et le valpromide, un amide plus liposoluble. Il prit l’attache de Pierre André Lambert et de l’un de ses collaborateurs, Serge Borselli, à l’hôpital neuropsychiatrique de Chambéry, pour conduire des essais chez l’homme. Ces spécialistes confirmèrent l’efficacité anticomitiale du valproate de sodium et montrèrent que l’amide stabilisait l’humeur de patients maniaco-dépressifs (bipolaires) : publiée en 1966, leur observation fut éclipsée par le succès mondial du lithium et le valpromide resta un médicament de psychiatrie franco-français. Le valproate fut commercialisé comme anti-épileptique en 1967 avec le succès que l’on sait. Plus tard, dans les années 1980, des travaux allemands et américains validèrent sa prescription en psychiatrie sous forme de divalproate - une prescription cependant de longue date déjà répandue hors AMM ! -.
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