C’est en mai 1889, à l’âge de 72 ans donc et à la fin d’une carrière que l’on sait particulièrement diversifiée, que le physiologiste Charles-Edward Brown-Séquard (1817-1894), constatant le déclin de sa capacité à travailler, eût l’idée de s’injecter par voie hypodermique un macérat de testicules de chien et de cochon d’Inde. Il réitéra ces injections quinze jours de suite pour rapidement se sentir revigoré par ce traitement singulier.
Dès le 1er juin, le vieux savant, intimement persuadé d’avoir découvert un élixir de jouvence présenta devant l’Académie de médecine - pour le moins interloquée - les résultats de son expérimentation : « Depuis le quatrième jour après l’injection, tout a changé et j’ai regagné au moins la force que je possédais plusieurs années auparavant (…) J’ai pu à nouveau sans difficultés monter et descendre en courant les marches de mon escalier comme je l’avais toujours fait avant l’âge de 60 ans »… et l’orateur de s’épancher sur l’amélioration de son transit fécal et sur la puissance retrouvée de son jet urinaire…
Le thème s’y prêtait et Brown-Séquard était une sommité du monde médical : il n’en fallut pas plus pour que la nouvelle donnât lieu à un tapage journalistique à peine tempéré par les doutes sérieux qu’opposaient les collègues du physiologiste. À une époque où les hormones restaient encore inconnues, le mode d’action de ces préparations « dynamogéniques » avait tout de mystérieux.
Rapidement, les articles se multiplièrent et, imaginant faire reverdir une virilité en berne, diverses personnalités contactèrent Brown-Séquard. Zola lui-même, dit-on, sollicita la faveur d’un traitement pour honorer avec plus d’ardeur Jeanne Rozerot, sa lingère devenue sa maîtresse en 1888.
La séquardine en chansons
La « thérapie orchitique » connut un succès immédiat et, de partout, des médecins en passèrent commande. Si Brown-Séquard dispensait avec générosité et de façon désintéressée des dizaines de milliers de doses d’extrait testiculaire « maison », divers laboratoires, notamment américains, prétendirent en fabriquer sous forme d’élixirs buvables, revendiquant malgré-lui le parrainage du savant au point même de donner des noms suggestifs à leurs formulations comme ceux de « Séquardine » ou « Brownséquardine ».
Brown-Séquard devint ainsi célèbre dans la Troisième République. Ce scientifique des plus ascétiques se trouva, bien malgré lui, au centre d’une polémique que dominaient les sous-entendus graveleux : des chansons paillardes de carabins n’eurent-elles pas pour thème le fameux macérat testiculaire ?
Pourtant, L’homme ne visait pas à rendre plus « triomphants » (pour prendre l’expression de Hugo), des matins masculins déchantants. Il n’imaginait pas plus prolonger l’existence par l’injection de son suc : « Je n’ai jamais (…) exprimé l’idée que ces injections pourraient réparer des ans l’irréparable outrage. J’ai seulement dit et je crois encore qu’il est parfaitement possible de réparer des ans les outrages réparables ».
Et ce d’autant plus qu’il reste certain que cet homme austère n’avait rien d’un Casanova et ne fut jamais en quête d’un quelconque bénéfice sexuel : il avait simplement noté que la sénilité privait l’organisme de vigueur, d’une façon parallèle à la réduction progressive de sa force sexuelle, et il imaginait restaurer celle-ci en augmentant celle-là. Qu’importe la pertinence de ses vues.
Au-delà de l’anecdote, Brown-Séquard est entré dans l’histoire de la pharmacologie comme l’inventeur de l’« opothérapie » ou traitement par les « sucs glandulaires » : ses observations ont largement participé au développement ultérieur de l’endocrinologie.
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