HÔPITAL DE BIRMINGHAM. 1775. La femme, la cinquantaine passée, tousse, sa respiration siffle. Ventre gonflé, elle se plaint de douleurs abdominales, d’une constipation opiniâtre. Ses lèvres bleuies peinent à parler. Le médecin qui se penche sur elle remarque ses chevilles fortement enflées : il diagnostique immédiatement une maladie alors encore mystérieuse et souvent fatale dans ses formes les plus sévères, l’hydropisie. L’état désespéré de la femme lui dicte de tenter le tout pour le tout. Pourquoi pas la digitale ? À l’époque, cette plante n’est quasiment plus utilisée en Angleterre en raison des dangers qu’elle fait courir aux patients auxquels elle est administrée dans de multiples affections. Pourtant, quelques jours auparavant, l’attention de Withering a été attirée par les proches d’une personne atteinte d’hydropisie sur l’efficacité d’une poudre végétale donnée par une vieille guérisseuse qui l’administre à des patients hydropisiques résistants à tous autres traitements.
Analysant ce mélange de plus d’une vingtaine de débris végétaux, Withering en arrive à la conclusion que l’unique ingrédient susceptible d’être actif sur l’hydropisie est la digitale. Withering tente ce remède. Avec succès. Rapidement, la poudre se révèle avoir un effet quasiment miraculeux.
Fort de cette première observation, Withering administre avec méthode de la digitale à divers patients souffrant d’hydropisie : il récolte les digitales juste avant leur floraison et administre la drogue sous forme d’une « belle poudre verte » et non de décocté, afin de pouvoir titrer la quantité utilisée et de ne pas altérer la valeur thérapeutique de la plante. Il détaille avec soin les conséquences possibles de l’usage de la digitale (y compris celles de l’intoxication aiguë) : malaise, vomissements, confusion mentale, diarrhées et hyperdiurèse, troubles de la vision colorée, mais, surtout, ralentissement cardiaque (rattaché aux effets bénéfiques de la plante), et observe que la digitale n’était pas active sur certaines formes d’hydropisie. La proportion des accidents sous digitale rapportés est de 18 %, un chiffre comparable aux séries publiées deux siècles plus tard… Pourtant, jamais Withering n’employa de digitale sur les patients de ses consultations privées : le traitement pouvait mal tourner et sa femme craignait que des accidents n’éloignassent sa clientèle, mettant en péril les finances du ménage. De ce fait, tous les patients de Withering n’ont pu bénéficier comme ils l’auraient mérité de la « belle poudre verte ».
La première publication sur les effets de la digitale sur l’hydropisie est la thèse posthume d’un étudiant en médecine, Charles Darwin (1758-1778), fils du docteur Erasmus Darwin, un collègue de Withering à l’hôpital. Elle fut publiée en 1780 par Erasmus et il est probable que les 9 observations d’hydropisie traitée par digitale y furent rajoutées pour retirer à Withering une part de son mérite - une querelle avait rapidement éclaté entre Withering et Erasmus Darwin à propos de la paternité de certains des cas traités par digitale. Le travail de Withering, plus tardif, fut aussi plus complet et pertinent. Les deux médecins, jadis amis, n’entretinrent plus de relations et s’ignorèrent dans les couloirs de l’hôpital de Birmingham.
C’est donc en 1785, au terme de dix années d’observations sur environ 160 patients, que Withering publia Un point sur la digitale et ses usages médicaux. Ce travail eut un retentissement immédiat : la digitale fut inscrite à nouveau à la London Pharmacopoiea d’où elle avait été éliminée auparavant. Surtout, il inaugura l’ère des « digitaliques », ces glycosides végétaux encore prescrits de nos jours dans l’insuffisance cardiaque congestive, l’une des causes de l’ancienne hydropisie.
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