On les croise à La Boca, couples fusionnels exécutant dans la rue des pas de tango. Attraction touristique ? Pas seulement. Car si le but est de récolter une offrande, on ne triche pas avec le tango. Visages graves, regards pénétrés…, il suffit de quelques notes de bandonéon pour éprouver la concentration exigée par cette danse.
À Palermo aussi, la passion affleure. Nous sommes à La Viruta, un club (une milonga) situé au sous-sol d’un immeuble. Sur la longue piste éclairée de spots rouges, les clients viennent chaque soir, du mercredi au dimanche, prendre des cours de tango. On y croise des Argentins et beaucoup de touristes. Tard le vendredi, selon la tradition qui veut que la soirée à Buenos Aires débute vraiment après minuit, les couples aguerris entrent en piste, au rythme d’un orchestre.
L’intensité, l’hospitalité, l’appétit de culture, voilà les standards de cette capitale. À Retiro et Recoleta, quartiers dont les immeubles haussmanniens témoignent de l’âge d’or de la ville, cafe notable et vieilles librairies jalonnent les grandes avenues. Là s’est incarnée la réussite de la bourgeoisie, issue du courant d’émigration européenne entre le milieu du XIXe siècle et le début du XXe. Sur l’avenida de Mayo, le café Tortoni, le plus ancien de la ville, fondé en 1858, rappelle cette époque. À l’heure de la merienda (pause-goûter), les porteños viennent y déguster un chocolat chaud avec des churros.
Les habitants sont follement épris de culture. La ville le leur rend bien. Exemple avec El Ateneo : depuis 2000, l’ancien théâtre Gran Splendid accueille sous sa coupole et ses galeries des milliers d’ouvrages. Un cadre exceptionnel dans ce qui est l’une des plus belles librairies au monde.
Là où tout a commencé
Retour à La Boca. Le quartier a conservé sa fibre populaire. Ici sont arrivés par bateau les premiers immigrants, en majorité italiens. Durs au mal, les guapos (mauvais garçons) ont inventé le tango, entre labeur et plaisirs de maisons closes…
Le football y est une religion. À preuve La Bombonera, le stade du club mythique de Boca Juniors. Maradona, Dieu vivant du quartier, y a joué. Les groupes de supporters sont parmi les plus déchaînés de la planète football. Nul ne manquerait le match contre l’ennemi juré de la ville, le club des « riches » de River Plate. On peut visiter ce quartier sous l’angle traditionnel, entre maisons colorées et antiques pizzerias populaires. Mais aussi découvrir sa réalité contemporaine, avec ses murales sociaux à la gloire de La Boca et ses garages familiaux débordant sur les trottoirs.
Dans une capitale qui n’en finit pas de subir les crises économiques successives du pays, on soigne son vague à l’âme à coups de rites sociaux. S’attabler entre amis au restaurant ou au café en est un. On y débat de politique et de football, en racontant sans pudeur sa dernière séance chez le psy — Buenos Aires serait la ville au monde qui compterait le plus d’analystes par habitant. Au pays de l’élevage bovin, ces échanges ont lieu dans les parrillas, steaks-house où l’on sert des bife de chorizo (entrecôtes) extra-larges, accompagnés de l’incontournable sauce chimichurri. Il y a les adresses cultes, telle La Cabrera, et pléthore de lieux « revisités ».
Fooding et street art
Un quartier incarne cette tendance fooding : Palermo. Dans les secteurs branchés de Soho ou d’Hollywood, les restaurants réinterprètent les saveurs locales. Le quartier regorge de bars-terrasses où la jeunesse se réunit tard dans la nuit, comme sur la Plaza Cortazar, à Soho. L’expression culturelle est aussi présente, avec un talent incontestable pour le street art. Figuration urbaine ou ton social, cet art révèle un besoin d’émancipation dans un pays pétri de conservatismes. Même si le pape François, ancien cardinal de Buenos Aires, semble incarner un catholicisme d’ouverture. Ainsi, chaque jeudi depuis 42 ans, sur la Plaza de Mayo, les mères des disparus lors de la dictature militaire défilent devant la Casa Rosada (le palais présidentiel) pour exiger la vérité sur le sort de leurs enfants. Un rituel digne et émouvant.
Comme toute capitale, Buenos Aires va de l’avant. Puerto Madero, aménagé dès les années 2000 sur un secteur portuaire, incarne ce futur. Promenades, restaurants et cafés ont investi les anciens docks, dominés par des gratte-ciel. Prendre un cocktail au roof top de l’hôtel Alvear Icon, avec vue sur la ville et le Puente de la Mujer, rappelle que cette capitale conjugue avec talent tradition et inventivité.
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