Vestiges de la colonisation espagnole, bureaux et boutiques du quartier affairé de Makati, coucher de soleil sur le port, échos du président Rodrigo Duterte, brochettes de cochon de lait dans le faubourg de la Loma… Alors que se dessine la cordillère qui escarpe la grande île de Luzon, Manille paraît bien loin : 350 km, entre huit et dix heures de route, plein nord. Et, dans ces terres ifugaos, ce sont des reliefs verdoyants, étagés au cordeau depuis des millénaires, qui invitent à marcher.
De 700 à 1 500 mètres d’altitude, les rizières requièrent des aptitudes d’équilibriste. Depuis le village de Banaue, une dernière liaison motorisée en jeepney amorce la mise en jambe. Hérités des véhicules de l’armée américaine, ces 4x4 à rallonge bringuebalent leur carrosserie bariolée au gré des ornières et des virages en épingle à cheveux. Les rizières en terrasse sont inscrites au Patrimoine de l’humanité : « Fruit d’un savoir-faire transmis de génération en génération, des traditions sacrées et d’un équilibre social délicat, elles créent un paysage d’une grande beauté où se lit l’harmonie conquise et préservée entre l’homme et l’environnement », résume l’Unesco.
Si ces contrées reculées n’ont pas échappé à la mondialisation, leur art de vivre se confirme aussi vif que le trésor vert alentour. Un rituel intemporel s’offre aux voyageurs ayant fait halte chez l’habitant. Un poulet ou un cochon pour les moissons, un buffle pour les ancêtres : aux côtés du vieux sage, le jeune guide acquis à ses croyances, partageant l’écuelle de vin de riz entre deux actions de grâce. Un choc des cultures incarné aussi par les repiqueuses de riz. Dans l’eau boueuse, c’est une paysanne qui éblouit par son savoir-faire préservé, faisant fi de tout pesticide pendant que de flamboyants chonglas mettent les mauvais esprits à l’écart.
Réservés aux jours de fête, les costumes chamarrés fertilisent cet héritage, à l’instar des fétiches de tout bois qui jalonnent les échoppes. Sculpteurs, les anciens coupeurs de tête brillent surtout par leur génie civil, pavant des marches vers le ciel depuis plus de 2 000 ans. En surplomb de Batad, accessible dans une farandole de fougères arborescentes et de bananiers sauvages, l’amphithéâtre végétal est vertigineux. « Utilisez un bâton de marche ou fixez le mollet de votre voisin. » Entre escaliers à pic et rigoles en bambou, le conseil se révèle avisé !
Chez les Tagbanuas
Il faut plutôt avoir le pied marin pour aborder l’ethnie Tagbanua, autre visage des quelque 110 minorités indigènes des Philippines : cap sur l’archipel de Busuanga, amarré à celui de Palawan, soit la province la plus à l’ouest. Dès le survol en coucou domestique, cette réserve laisse voir ses atours hauts en couleurs, propices à la plongée et aux baignades exotiques. Après l’atterrissage, entre ranchs, sources chaudes et Christ panoramique, qui méritent une balade, la ville de Coron confirme que l’on est arrivé à bon port.
À l’horizon, l’île éponyme est le sanctuaire de cette communauté ancestrale, qui a force de loi sur ses 22 000 hectares karstiques et marins. « Notre quête d’une vie abondante tient au respect de cette riche biodiversité, avec un sens d’unicité et une révérence quotidiens », introduit un panneau d’accueil, sur le chemin qui plonge vers le lac Kayangan. « À l’intérieur de nos sites sacrés, nous gardons purs et vertueux nos pensées, notre langage et nos actions. Ce concept de vie est la clef de la conservation de cet héritage, pour nous et pour les générations futures. » À nager dans cet éden aquatique, enchâssé dans des falaises abruptes, on ne peut que formuler des actions de grâce.
À quelques encablures, le lac Barracuda offre son paysage sous-marin lunaire, multipliant le dépaysement par d’insolites thermoclines. Si ces zones de transition thermique, à faible salinité, n’ont pas les faveurs de la faune ni de la flore, on s’en régale entre lagons coralliens, où s’ébattent des poissons-perroquets, et plages au sable diaphane, parfumées de frangipaniers. Tandis que s’éloigne le bangka, le bateau traditionnel, en prenant la vague de ses deux balanciers en bambou.
Avec la pêche et le tourisme, les nids dits d’hirondelles – en fait une espèce de martinets – sont l’une des richesses du pays. Convoités pour leur mucus, aux vertus nutritionnelles, voire aphrodisiaques, selon les Chinois, ils se dénichent à force d’acrobaties. Quant au lato, la récolte de cette délicieuse algue n’est pas moins risquée, entre les poissons-pierres et les méduses-boîtes. Dans l’air et les embruns flotte le refrain des Tagbanua, en guise de bienvenue dans leur paradis : « Ne prenez rien sinon des photos ; ne laissez rien sinon des empreintes ; ne gardez rien sinon des souvenirs. » Bonne pêche
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