Au cœur de Paris, l’activité bat son plein à la pharmacie Delpech. « Nous fabriquons en moyenne 2 700 à 2 800 préparations par jour, avec un pic record de 4 000 atteint en 2023. Il s’agit de préparations magistrales prescrites dans le cadre de maladies rares ou pour la majorité, par des dermatologues », explique Fabien Bruno, son titulaire. En trente ans, la pharmacie Delpech est passée d’une activité de préparation confidentielle à un préparatoire qui emploie 130 personnes. Comme elle, une centaine de pharmacies françaises a fait le choix de se spécialiser dans la préparation pharmaceutique en se dotant de préparatoires hors-normes.
L’activité de préparation magistrale en France n’est pas morte ; elle s’est simplement réorganisée, pour se concentrer au sein de quelques officines ayant à coeur de sauvegarder ce savoir-faire. « En théorie, toutes les pharmacies d’officine peuvent s’engager, mais cette activité ne s’improvise pas. Une autorisation particulière de l’ARS (Agence régionale de santé) est nécessaire. Il faut avoir de la place, investir dans un équipement spécifique, et disposer d’un personnel qualifié et spécialisé », explique Sébastien Gallice, pharmacien d’officine à Marseille et président des Pref, l’association des « pharmaciens des préparatoires de France ». Cette société savante participe à la montée en compétences des préparatoires (elle a imposé la norme qualité ISO) et à la valorisation de la préparation pharmaceutique. « Avant de se lancer dans une préparation magistrale, il y a tout un travail bibliographique à réaliser afin de déterminer la formulation la plus adaptée ou évaluer la dangerosité de la molécule. Il faut aussi trouver la matière conforme à la pharmacopée européenne. D’où l’importance pour les préparatoires d’être soutenus par une société savante », commente Sébastien Gallice. Les préparatoires sont également représentés par le syndicat national de la préparation pharmaceutique, le SN2P. « Notre rôle est de défendre les intérêts économiques liés à cette activité, d’être un interlocuteur auprès des pouvoirs publics et de nos propres syndicats professionnels pour faire évoluer le cadre réglementaire et mieux informer les professionnels de santé sur les préparations pharmaceutiques », détaille Eric Myon, pharmacien à Paris et trésorier du SN2P.
Du sur-mesure pour des situations hors normes
« Notre activité quotidienne concerne les traitements particuliers dans le cadre de maladies rares. Notre coeur d’activité, c’est le sur-mesure à partir de l’ordonnance », insiste Sébastien Gallice. Pharmacotechnicienne responsable de l’unité des préparations non stériles au CHU de Grenoble, Roseline Mazet le confirme : « notre travail est d’adapter la galénique ou la posologie aux patients quand la forme industrielle n’existe pas ou ne convient pas, chez un enfant par exemple ou chez une personne ayant des troubles de la déglutition. La préparation magistrale comme la préparation hospitalière, c’est de la thérapeutique personnalisée ! » Récemment nommée conseillère auprès de la direction des métiers scientifiques à l’ANSM, Roseline Mazet est à la fois sur le terrain et à la production de monographies dont l’objectif est de faciliter et sécuriser la fabrication de préparations correspondant à des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) à risque de pénurie.
La préparation spéciale arrive à l’officine
Balayées par le médicament industriel, oubliées par la profession elle-même, les préparations magistrales font un retour en force depuis quelques années. « En dix ans, nous avons recréé une dynamique avec les prescripteurs, pour proposer des solutions en cas d’impasse thérapeutique », raconte Roseline Mazet. C’est surtout grâce à la pandémie de Covid et aux ruptures de stocks de médicaments que la préparation pharmaceutique a retrouvé ses lettres de noblesse, en ville comme à l’hôpital. « L’année dernière, en pleine pénurie, la préparation magistrale a permis de couvrir 25 à 30 % des besoins en amoxicilline pédiatrique », rappelle Fabien Bruno à ceux qui continuent de ne pas prendre au sérieux cette activité. Les autorités de santé ont bien compris l’intérêt de développer la coopération avec les préparatoires. Une nouvelle ère s’ouvre avec l’arrivée des préparations officinales spéciales (POS), prévues par la Loi de financement de la Sécurité sociale 2024 (article 71).
L’an passé, en pleine pénurie, la préparation magistrale a permis de couvrir 25 à 30 % des besoins en amoxicilline pédiatrique
Fabien Bruno
« Cette mesure permet de créer un stock tampon en cas de pénurie d’une spécialité industrielle. Il revient à l’ANSM de déclencher la fabrication de ces POS lorsqu’une spécialité (MITM) est indisponible. La fabrication est réalisée selon un protocole commun », détaille le président des Prefs qui prévient cependant : « les préparatoires peuvent répondre à ces situations exceptionnelles en cas de pénurie totale, mais ce n’est pas leur cœur de métier ». Autrement dit, l’activité de fabrication des préparations officinales spéciales (POS) est une activité en sus, qui doit rester provisoire.
Chercher à toujours mieux faire
En matière de préparations, les préparatoires explorent de nouvelles techniques, de nouveaux équipements. Une sorte de filière « recherche et développement » dont l’objectif est de gagner en performance afin d’optimiser la prise en charge des patients. « Nous avons acquis une imprimante 3D, de technologie finlandaise, qui va nous permettre de proposer de nouvelles formes de médicaments », raconte Fabien Bruno. Récemment, la Pharmacie Delpech s’est également dotée d’une comprimeuse, pour fabriquer des comprimés. « Cela permet d’augmenter notre capacité de production en comparaison aux gélules, ce qui est intéressant en cas de rupture. Cet outil va également nous permettre de proposer des formes galéniques plus élaborées telles que la libération prolongée. »
Quand l’ANSM et les préparatoires décident de faire équipe...
Une coopération étroite s’est installée entre l’ANSM et les préparatoires. A la tête de la direction des métiers scientifiques à l’Agence, Valérie Salomon se mobilise pour maintenir et valoriser le réseau des préparatoires en France.
L'activité de l'ANSM sur les préparations a considérablement évolué au cours des dernières années. D'abord centré sur l'élaboration du référentiel (guide de bonnes pratiques de préparation) et la réponse aux questions associées, l'ANSM a désormais un rôle d'animation de réseaux et de coopération, de façon quasi-quotidienne, en appui à la gestion des ruptures de stock.
Une exemplarité saluée par l’ANSM
« Cela a débuté au moment du Covid avec la mobilisation de CHU volontaires pour mettre au point des monographies et produire du cisatracurium. Une autre période importante a débuté en novembre 2022 avec l’organisation du réseau des sous-traitants officinaux pour la production d'amoxicilline pédiatrique, en réponse aux tensions majeures de l'hiver. » En tant que pharmacien praticien hospitalier, Valérie Salomon apprécie la rencontre des acteurs de la ville et de l'hôpital autour de l’activité de préparation. « Leur agilité, leur réactivité et leur grand professionnalisme au profit des prises en charge des patients est exemplaire. » Ces différentes expériences réussies ont guidé les LFSS de 2022 et de 2024. « La production de préparations hospitalières ou officinales "spéciales" est désormais un nouveau levier en cas de pénuries, pour disposer de solutions d'attentes du retour de spécialités pharmaceutiques. Ces productions viennent en complément des actions sur l'épargne et l'approvisionnement en spécialités. »
Des outils pour optimiser l’activité des préparatoires
L'ANSM élabore le référentiel de bonnes pratiques applicables, qui sert aux ARS pour les inspections et autorisations d'activité, et aux pharmaciens pour produire dans de bonnes conditions. « Nous avons renforcé les démarches d'analyse de risque et le fait de toujours questionner la pertinence et la faisabilité de ces préparations. Par ailleurs, dans le cadre particulier des ruptures de stock, nous mettons à disposition des monographies décrivant très précisément la façon de produire et de contrôler les préparations, qui relèvent en premier lieu de la pharmacie qui réalise. » Selon les situations, des contrôles analytiques croisés entre CHU et officines sont organisés. « Le laboratoire de contrôle de l'ANSM accompagne ces analyses en participant à certains contrôles et en réalisant des études de stabilité, mais il ne libère pas les lots. Cette étape relève de la responsabilité des pharmacies. »