- Monsieur Pontignac, nous aurons terminé l'installation du robot demain. Est-ce qu'on peut prévoir un moment avec toute l'équipe pour vous expliquer le fonctionnement, et la conduite à tenir en cas de problème ?
Appuyé contre le comptoir, J-C finit par se rendre compte que le technicien est en train de lui parler.
- Pardon… qu'est-ce que vous avez dit ?
- Il faudrait qu'on forme l'équipe à l'utilisation du robot, en particulier les personnes qui gèrent les commandes.
- Oui bien sûr, j'avais prévenu tout le monde qu'il faudrait rester entre midi et deux. Demain, ce sera possible.
Hésitant, le technicien finit par demander des nouvelles de Karine :
- Comment va votre associée, Mme Dupré ?
- C'est mieux. Il était préférable de l'hospitaliser, par précaution, répond le titulaire, sans s'étaler sur le sujet.
À une heure de la fermeture de la pharmacie, l'équipe s'active au comptoir.
- Dix-huit heures, c'est toujours la même chose ; on dirait qu'un bus dépose tout le monde sur le parking, râle Nicole Bertin.
- Moi j'aime bien quand ça bouge ! C'est vachement plus stimulant, se réjouit Théo en farfouillant dans la caisse.
- Vachement ! Fais donc attention à bien rendre la monnaie. Tu te souviens de ce que je t'ai dit ?
Malicieux, Théo sort son téléphone de sa poche :
- On pose une soustraction avec ça !
N'écoutant pas les remontrances de la préparatrice, Théo s'éloigne pour terminer sa vente.
- Le petit a compris qu'il fallait mieux sourire des réflexions de la vieille…, glisse Damien à Christèle. Puis s'approchant de Julien :
- On peut plus aller boire de verre au bar, mais si vous voulez, après le boulot, on se prend une bière dehors. J'en ai rapporté. Ces petits moments de convivialité entre collègues me manquent tellement.
- Carrément. On restera à distance mais ça fera du bien. D'autant plus qu'on a appris le décès d'une patiente.
- Du COVID ?
- De quoi d'autre en ce moment ? C'est moi qui l'ai testée positive il y a trois semaines mais son état s'est vite aggravé. Elle était en réanimation depuis dix jours.
Une heure plus tard, Julien, Damien et Juliette se retrouvent sur le parking, comme prévu.
- Non, nous ne sauvons pas des vies. Non, nous ne ressortons pas d'une salle d'opération de façon triomphale en lançant "l'opération s'est bien passée"… mais, nous, on aide à vivre mieux au jour le jour. C'est déjà beaucoup ça ! s'anime Juliette.
- Vous avez remarqué qu'il n'y avait jamais de pharmaciens dans les séries télé : Greys, The Resident, Urgences…
- Nina…
Les trois amis éclatent de rire.
- Tu regardes ça toi ?, plaisante Damien.
- Sérieusement, quand j'entends les pharmaciens se plaindre, ça m'agace un peu, reprend Julien. Il faut relativiser. Ce qu'on vit avec les masques et les vaccins contre la grippe, c'est quoi à côté de ce qu'un soignant de réanimation vit au quotidien ? Voir les gens mourir après avoir tout fait pour les maintenir en vie. Annoncer le décès aux proches…
- C'est dur sur le coup, et après ils passent à autre chose. Mais nous à la pharmacie, qu'est-ce qu'on fait ? On prend le relais. On récupère des âmes en miettes, ces familles détruites par la mort. On essaie de trouver les paroles réconfortantes, de les accompagner dans cette vie sans leur conjoint, leur parent ou leur enfant. C'est moins spectaculaire c'est vrai, mais nous sommes là sur la durée et c'est important, lui répond Juliette, les larmes aux yeux.
(À suivre…)