« Vers l’âge de 14 ans, je savais que je voulais être écrivain mais j’ai mis très longtemps à y parvenir. Parce que ce chemin de l’écriture, je l’ai fait tout seul, et ça a été long et dou-loureux ». Nicolas Mathieu, prix Goncourt pour son deuxième roman, « Leurs enfants après eux » (Actes Sud), est encore tourné vers ces temps de « vache enragée », qu’il a bouffée, dit-il, jusqu’à ses 35 ans (il en a 40), jusqu’à la publication d’« Aux animaux la guerre » (adapté en une série diffusée sur France 3 à partir du 15 novembre). Son livre est une chronique humaine et sociale qui suit sur quatre étés, de 1992 à 1998, le passage d’adolescents à l’âge adulte dans une vallée de Lorraine en déshérence industrielle. Les jeunes, fils de bourgeois ou d’ouvriers, tuent l’ennui comme ils peuvent et rêvent d’une vie meilleure, tandis que les adultes ruminent leurs désillusions.
Le roman dit les tourments de l’adolescence mais aussi le déclin du monde ouvrier et le mensonge de l’égalité des chances. Nicolas Mathieu, qui est né dans un quartier pavillonnaire d’Épinal, raconte ici le monde d’où il vient, avec un ancrage maximum dans le réel. Un monde qu’il a voulu fuir à tout prix en faisant des études d’art et de cinéma : « Ce monde, je n’en serai plus jamais vraiment, j’ai réussi mon coup. Et pourtant, je ne peux parler que de lui. Alors j’ai écrit ce roman, parce que je suis cet orphelin volontaire ». Une belle réussite littéraire et politique
Le destin d'un poète
Pierre Guyotat a attendu ses 78 ans pour être reconnu par le jury Médicis, qui a consacré « Idiotie » (Grasset), un récit qui traite de l’entrée de l’écrivain dans l’âge adulte. Il a aussi reçu un prix spécial du jury Femina pour l’ensemble de son œuvre ainsi que le 32e Prix de la langue française. Écrivain à scandale, Pierre Guyotat a connu la notoriété en 1967 avec « Tombeau pour cinq cent mille soldats ». « Idiotie » commence à l’automne 1958 lorsque, encore mineur, il s’enfuit pour Paris (au grand dam de son père, médecin de campagne) afin d’accomplir son destin de poète, dort sous les ponts et fait plusieurs petits métiers.
En 1960, alors que son premier texte (« Sur un cheval ») va être publié, il est appelé en Algérie ; un service qui va mal se passer, entre cachot et unité disciplinaire. Il en revient hanté par « tous les égorgés, tous les mutilés (....) tous les battus à mort, tous les déchiquetés, tous les enflammés, bébés jetés contre les murs, mères enceintes éven-
trées, toutes les violées, tous les torturés (...) victimes à retardement du crime originel de la conquête ». Un texte essentiel pour comprendre le parcours personnel et littéraire de Pierre Guyotat, son rapport à la guerre, au colonialisme, à la pornographie, à l’abjection, et un de ses textes les plus accessibles.
Celui qui doit survivre
Moins connu par ses romans (« les Îles », « l’Élan », « Je ne sais pas écrire et je suis un innocent ») que par ses signatures dans « Libération » et « Charlie Hebdo », Philippe Lançon, 55 ans, s’est imposé au jury Femina avec « le Lambeau » (Gallimard), un récit qui a obtenu par ailleurs un prix spécial Renaudot mais qui n’a pas été retenu dans la dernière sélection du Goncourt, car n’étant pas considéré comme une « oeuvre d’imagination ». Il est vrai que l’attentat terroriste perpétré contre l’hebdomadaire « Charlie Hebdo » le 7 janvier 2015 a bien eu lieu, qui a fait 12 morts. Et lorsque Philippe Lançon écrit : « J’ai tourné ma langue dans ma bouche et j’ai senti des morceaux de dents qui flottaient un peu partout », c’est bien la réalité qu’il décrit dans une terrible première partie d’un livre consacré au long et douloureux travail de reconstruction de son corps et de son esprit. Après qu’une balle lui a arraché le bas du visage, il a subi 15 opérations et il n’a commencé à écrire « le Lambeau » qu’à partir de juin 2017. Au-delà des faits, il raconte comment « celui qui n’était pas tout à fait mort » doit cohabiter avec « celui qui allait devoir survivre ». L’hôpital, les médecins, les infirmières sont une part importante du livre, avec notamment cette impression de « suspension dans le temps, l’impression que tout se répète ».
Une quête amoureuse et politique
Ancienne également de « Charlie Hebdo », de 2008 à 2013, Valérie Manteau, 33 ans, n’a publié avant « le Sillon » (Le Tripode), lauréat du prix Renaudot, qu’un seul ouvrage, « Calme et tranquille », qui décrit la vie d’une jeune femme confrontée à la mort violente de ses proches (sans faire de référence directe à l’attentat). Le livre primé est la quête amoureuse et politique, en 2016-2017, d’une jeune Française venue retrouver un amant turc dans Istanbul, ville chère à l’auteure. Elle déambule dans les rues de la ville, s’interroge et finit par partir sur les traces du journaliste d’origine arménienne Hrant Dink, abattu en 2007 d’une balle dans le dos. En déroulant son enquête, en se rapprochant notamment des écrivains qui connurent la victime, telle Asli Erdogan, Valérie Manteau creuse son propre « sillon » dans la métropole turque et, au-delà, entre la France et la Turquie.
Une révolution réhabilitée
L’Académie française, a quant à elle jeté son dévolu sur « l’Été des quatre rois » (Plon), un roman historique dense et érudit signé Camille Pascal, 52 ans. Historien de formation, celui-ci est conseiller d’État, ancien secrétaire général de France Télévisions et ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Élysée. Il est l’auteur de plusieurs essais, dont « Ainsi, Dieu choisit la France », prix du Livre incorrect 2017, et l’ouvrage couronné par l’Académie est son premier roman. Il se déroule durant l’été 1830, lorsque quatre rois ont tour à tour occupé le trône de France : Charles X, Louis XIX, Henri V et Louis-Philippe. Entre les émeutes parisiennes des 27, 28 et 29 juillet, dites « Trois Glorieuses », et l’avènement de la monarchie de Juillet, on hante tous les lieux et on côtoie tous les hommes qui ont fait cette page d’Histoire. Le souci de l’auteur étant de réhabiliter une révolution méprisée car considérée comme une révolution bourgeoise, alors que pour Camille Pascal c’est une « révolution romantique ».
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