S’inscrivant dans la lignée de « 1984 », de George Orwell (paru en 1949), Boualem Sansal donne avec « 2084. La fin du monde » (1) sa vision d’un avenir proche, où le peuple est soumis à un dieu unique. Un temps où l’immense empire de l’Abistan est contrôlé par un guide suprême et un appareil omniprésents mais invisibles. On pense à l’Iran.
L’écrivain algérien ne cache pas son désir de mettre ainsi en garde contre le totalitarisme religieux, aujourd’hui islamique, qui se met en place lentement mais sûrement ; moins à travers les actes de terrorisme et de guerre type Daech que par une stratégie financière et sociale méconnue. Et de rappeler que « le prophète Mahomet est un chef d’État et un chef de guerre qui a utilisé sa religion à des fins tactiques et politiques » tandis que la charia « légifère sur absolument tous les aspects de la vie ».
Reste que « 2084 » est un roman. Dans l’empire théocratique qu’il décrit, où toute mémoire a été effacée et les mots réduits à une syllabe afin d’abolir la pensée et où le peuple est occupé à « une bigoterie bien réglée, érigée en monopole et maintenue par la terreur omniprésente », un certain Ati, personnage anonyme quelque peu naïf, va sentir le souffle de la liberté, briser ses chaînes et se mettre en route afin de voir par lui-même s’il n’existe vraiment qu’un seul monde et une seule vérité. Un périple tortueux et dangereux qui met aussi le lecteur à rude épreuve, car le livre est touffu, avec des descriptions parfois trop longues et des redites, voire des passages nébuleux ; mais on ne le lâche pas, car on sait qu’il parle de nous.
Âgé de 66 ans, Boualem Sansal, qui s’est fait connaître avec son premier roman « le Serment des barbares » en 1999, vit toujours à Boumerdès, près d’Alger. « 1984. La fin du monde » est en lice pour la plupart des grands prix littéraires, dont le Goncourt.
Auteure francophone d’origine iranienne installée à Paris depuis 1983, Sorour Kasmaï nous entraîne pour sa part « Un jour avant la fin du monde » (2). Son récit très particulier, qui se déroule à Téhéran tout de suite après la révolution islamique, s’inscrit sur un fond de croyances religieuses et de légendes sacrées. Lorsqu’elle apprend de son père qu’elle porte le nom d’une sœur morte à sa naissance et dont elle serait la réincarnation, Mariam, une adolescente de 16 ans, veut changer son prénom. Une démarche banale, si ce n’est que les autorités voient en elle une miraculée, se fondant sur la parole du Prophète qui dit que « S’il reste un seul jour avant la fin du monde, ce jour durera cent mille ans s’il le faut pour qu’un homme de ma descendance se lève et ressuscite les morts ». S’engage alors, dans une ville où règnent l’angoisse et la terreur, une course infernale entre la jeune fille et le pouvoir politico-religieux.
Un monde disparu
Le sixième roman du journaliste et essayiste d’origine égyptienne Robert Solé, « Hôtel Mahrajane » (3), a pour cadre et pour figure principale un hôtel imaginaire, dans un port de la Méditerranée non moins imaginaire. Construit au début du XXe siècle, le palace recevait la jet-set internationale ainsi que les Égyptiens de la bonne société ; il était le joyau de Nari, une ville qui ressemble à Alexandrie et où cohabitaient, en harmonie mais sans trop se mélanger, musulmans, chrétiens et juifs. Puis le temps a passé, les juifs ont été expulsés et les chrétiens sont partis, l’hôtel s’est dégradé, un monde a disparu. Heureusement que l’oncle du narrateur y avait ses entrées… par la porte de service, et que son neveu, qui y a joué et y a connu ses premières amours, savait écouter ; il nous entraîne dans les coulisses de cet hôtel de charme confronté aux bouleversements politiques et religieux.
Considéré comme l’un des plus grands écrivains maghrébins, cofondateur du Comité algérien contre la torture, Anouar Benmalek raconte dans « Fils du Shéol » (4) trois histoires d’amour, mais son propos n’a rien d’une bluette. À travers elles, il remonte à la genèse du mal absolu, de la Shoah et du génocide. Le terrible voyage à rebours auquel il nous convie commence par la rencontre de Karl, à peine 13 ans, et d’Helena, dans le wagon à bestiaux qui les emmène vers la chambre à gaz. Depuis le Shéol, une sorte de séjour des morts, le garçon croise les siens et tente, en vain, d’influer sur leur destin. Il voit comment son père, devenu Sonderkommando, était tombé amoureux de sa mère, la belle juive Elisa, en Algérie, avant de l’emmener à Berlin. Il découvre aussi son grand-père au temps de sa jeunesse, lorsqu’il servait dans l’armée allemande en Afrique de l’Ouest, et l’horrible destin de la jeune Héréro qu’il avait aimée. Trois histoires d’amour et de mort qui, de la Pologne des années 1940 à la Namibie des années 1900, pointent l’origine du mal sur trois générations… et deux génocides.
(2) Robert Laffont, 277 p., 19 euros.
(3) Seuil, 263 p., 18 euros.
(4) Calmann-Lévy, 409 p., 20 euros.
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