PAR DEUX FOIS, M. Chirac a songé à nommer M. Sarkozy Premier ministre, d’abord en 2002 (et avec l’approbation de Dominique de Villepin), ensuite en 2005, après la démisison de Jean-Pierre Raffarin. L’ancien chef de l’État ne se lance donc nullement dans une diatribe. Il couvre d’éloges son ancien ministre de l’Intérieur et lui reconnaît dynamisme, intelligence, énergie. Mais il ne lui a jamais fait confiance, il n’a jamais été sûr de lui. Pas seulement parce que M. Sarkozy avait choisi Édouard Balladur en 1995, mais surtout, nous explique-t-il, parce qu’il a mesuré son ambition dévorante, assez forte en tout cas pour anéantir sa loyauté. En outre, Jacques Chirac reconnaît que Sarkozy et lui n’ont pas « la même vision de la France ». Il exprime son malaise devant les propos provocateurs (« Nettoyage au Kärcher, racailles ») que prononce le ministre de l’Intérieur de l’époque. Quelque chose de très philosophique les sépare que l’on retrouvera plus tard dans l’« ouverture » et dans la « rupture », deux thèmes qui consacraient l’envoi du chiraquisme aux oubliettes. Or M. Chirac regrette aujourd’hui de ne pas avoir formé en 2002, après que la gauche, privée de Jospin, eut voté pour le candidat de la droite, un gouvernement représentatif des 82 % de suffrages qu’il venait de recueillir grâce au sursaut républicain du « peuple de gauche ». Ce regret l’honore, mais il fait un compliment indirect à une ouverture que, sur le plan de la théorique pure, il rejette.
La rédaction d’un livre au style soigné sinon flamboyant permet à l’écrivain de donner sa propre version de la vérité historique et aussi de prendre le temps requis par l’élégance du commentaire et la subtilité des piques. M. Sarkozy n’étant pas à la retraite, il n’est pas en mesure de nous offrir son point de vue. Comme souvent, il a commis l’erreur de parler de son prédécesseur en des termes (roi fainéant) qui, pour trois secondes d’amusement dans une audience éphémère, ouvraient un abîme entre lui et Chirac. On ne peut pas dire que l’ex-président accable l’actuel, bien qu’il n’omette pas de mentionner dans son ouvrage le rappel à l’ordre envoyé à Sarkozy le 14 juillet 2004 à la télévision : « Il ne peut y avoir de différend entre lui (Sarkozy était alors ministre des Finances) et moi. Je décide et il exécute ». Manière de se payer une deuxième fois le même plaisir, celui d’exercer l’autorité, d’abord au moment de l’action et ensuite en s’en souvenant.
Un Sarko d’il y a 35 ans.
Mais Chirac ne semble pas voir en Sarkozy ce qu’il était lui-même il y a 35 ans. Sarkozy déloyal ? Et Chirac, alors, qui a participé, avec une quarantaine d’élus UDR, à la victoire du centriste Giscard contre Chaban, candidat naturel des gaullistes en 1974 ; qui n’a dirigé le premier gouvernement de Giscard que pour l’abandonner au milieu du gué ; qui a effectivement incité les militants RPR à préférer Mitterrand à Giscard en 1981, croyant, non sans naïveté, que Mitterrand ne terminerait pas son septennat ou en tout cas ne serait pas réélu en 1988 ? Si Sarkozy est un traître, il a de qui tenir. Et son machiavélisme se limite au choix de Balladur, choix qu’il partageait, au début de 1995, avec des millions de Français.
On peut comprendre que M. Chirac se soit « senti touché » quand, au soir du 6 mai, Sarkozy n’a pas eu un mot pour lui ou pour son action. Peut-être le président actuel est-il un ingrat. Mais tout de même : n’avait-il pas été contraint au lendemain de la déroute de Balladur, de se battre chaque jour pour revenir au centre du jeu ? N’a-t-il pas été écarté par deux fois de la direction du gouvernement ? Et quand Chirac lui a demandé de choisir entre un poste ministériel et la direction de l’UMP, n’a-t-il pas, en optant pour le parti, compris avec lucidité que c’est au sein de l’UMP qu’il amorcerait son irrésistible ascension vers le pouvoir ? Et n’a-t-il pas, en définitive, conquis la présidence de la République en franchissant tous les obstacles que ses « ennemis de l’intérieur », de Villepin à Jean-Louis Debré, qui l’exècre, avaient placés sur son itinéraire ? Certes non, Sarkozy n’a pas eu beaucoup de grâce le 6 mai 2007. Il n’empêche qu’il a mis un terme au ronron des déclarations platoniques qui masquent la réalité cynique de la politique. Aujourd’hui, Jacques Chirac trouve François Hollande bien sympathique. C’est vrai qu’il l’est, et bien plus que Sarkozy ; comme autrefois, Mitterrand était bien plus agréable à vivre que Giscard d’Estaing.
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