Qu’auraient été les chefs d’État du XXe siècle sans leurs médecins personnels ? Dans quelle mesure ces derniers ont-ils influencé les pensées et les actes de Churchill, Franco, Hitler, Kennedy, Mao, Mussolini, Pétain ou Staline ? En s’appuyant sur des archives, témoignages, mémoires et biographies, Tania Crasnianski (ancienne avocate pénaliste, auteure d’« Enfants de nazis ») dissèque le fonctionnement de ces duos hors du commun, où les hommes les plus puissants sont à la merci de praticiens « discrets, souvent médiocres », dont certains ont été des pourvoyeurs de drogues, à des doses vertigineuses. Les portraits brossés dans « le Pouvoir sur ordonnance » (1) nous plongent dans l’intimité des hommes qui ont fait ou défait le siècle dernier et de leurs « ombres », qui, par ambition, vanité, vénalité ou obligation, ont consacré leur vie et leur carrière à un seul patient.
Après le décès d’un médecin à Pau, on trouve, dans un livre de sa bibliothèque, une lettre datée du 19 décembre 1942, dénonçant quatre « mauvais Français », signée « Grégoire Saint-Marly, ancien combattant de 14-18, père de quatre enfants ». « Délation sur ordonnance » (2) raconte comment les propres enfants du médecin étaient, sans qu’il s’en doute, d’une manière ou d’une autre liés à l’instituteur, au fonctionnaire, à l’avocat et au journaliste qu’il avait dénoncés. À savoir un communiste et résistant, un gaulliste, un arriviste forcené et un Juif, trois d’entre eux étant francs-maçons. À travers ces destins enchevêtrés, Bernard Prou (« Alexis Vassilkov ou la vie tumultueuse du fils de Maupassant ») reconstitue une période trouble où chacun s’est déterminé à agir selon son cœur et selon sa conscience.
Récompensé par plusieurs prix pour son précédent roman, « l’Amour et les forêts », Éric Reinhardt a acquis la notoriété en 2007 avec « Cendrillon ». C’est à l’achèvement de ce livre que s’attelle le héros (l’auteur) de « la Chambre des époux » (3), tandis que sa femme Margot, atteinte d’un cancer, lutte contre la mort. La vie et la réussite seront au rendez-vous. Enchâssée dans ce premier récit « authentique », une fiction montre les combats d’un compositeur de musique et de sa femme Mathilde, contre la même maladie et pour terminer une symphonie. Et dans un troisième niveau, le double musicien, rassuré mais ébranlé, tombe amoureux et s’attache aux pas d’une autre femme, Marie, qui va succomber au mal. Une méditation sur la puissance de la beauté, de l’art et de l’amour, « qui peuvent littéralement sauver des vies ».
Les mots pour le dire
L’écrivaine ivoirienne Véronique Tadjo signe, avec « En compagnie des hommes » (4), un conte de sagesse sur la place de la nature après le passage d’Ebola. À travers la voix de Baobab, l’arbre-premier, s’expriment tous ceux qui ont lutté contre les ravages de la maladie, médecins, infirmiers, creuseurs de tombes et villageois. Puis le roman choral donne la parole au virus lui-même, qui se défend d’être une force du Mal, qui ne cherche que sa survie et n’est coupable d’aucune mauvaise intention. Et enfin à la chauve-souris, qui fut le porteur sain du virus avant que les hommes ne viennent déranger le cycle de la forêt. Pour l’auteure, « la nature des hommes est plus destructive que la nature d’Ebola. »
Imaginez une famille où, depuis le Moyen Âge, les filles aînées de chaque génération sont frappées d’un mal différent mais imparable et incurable. C’est ainsi que Ninon, l’année de ses 17 ans et du bac, s’est réveillée avec une sensation de brûlure sur les bras intenable et inexplicable. Le diagnostic posé, allodynie tactile dynamique, la jeune fille entend ne pas subir la malédiction et se tourne vers la science, consulte tous les spécialistes possibles, des psychothérapeutes et des acupuncteurs et même, en désespoir de cause, un marabout et un chamane. Après « Comme une bête » et « la Peau de l’ours », Joy Sorman donne, avec « Sciences de la vie » (5), un nouveau roman original, un conte initiatique moderne sur le passage à l’âge adulte et le cheminement vers la féminité, dans une nouvelle peau.
Une maladie venue également du fond des âges est réveillée par Frédéric Aribit (« Trois langues dans ma bouche ») dans « le Mal des ardents » (6), provoquée par l’ergot du seigle. L’histoire commence par une rencontre dans le métro entre le narrateur, un prof de lettres un peu coincé, et Lou, qui joue du violoncelle, dessine, peint, fait de la photo, et de sa vie un tourbillon de plaisirs et de folie. Subjugué par la jeune femme, qui l’invite à partager ses passions, l’homme la suit dans ses fulgurances, jusqu’à ce que le merveilleux devienne étrange, avec démangeaisons et brusques accès de folie.
Dans « Cette lumière que je vois » (7), couronné par le prestigieux prix australien Miles Franklin, le mot « autiste » n’est jamais prononcé. La narration au passé, de sa sixième à sa onzième année, suggère que Jimmy a trouvé les mots pour dire les souffrances de son enfance, dans le milieu ouvrier des années 1980 où il a grandi. Sophie Laguna déploie une exploration extrêmement fine et poétique des troubles du garçon, entre une mère asthmatique et qui refuse de voir qu’il est différent, un père alcoolique et parfois violent, parce qu’il ne comprend pas, et un grand frère qui se protège dans l’absence. Jusqu’à ce que, par des efforts importants, il parvienne à ne plus subir les sensations, mais à vivre véritablement ses émotions.
(1) Grasset, 328 p., 20 €
(2) Anne Carrière, 276 p., 18,50 €
(3) Gallimard, 174 p., 16,50 €
(4) Don Quichotte, 168 p., 17 €
(5) Seuil, 267 p., 18 €
(6) Belfond, 247 p., 18 €
(7) Actes Sud, 360p., 22,80 €
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