DANS UNE TRIBUNE publiée le 29 mars 2012 dans le « Quotidien du Pharmacien » relatif à l’affichage en vitrine, Me Bensoussan, avocat, tente de relancer le débat suranné qui voudrait opposer déontologie et droit de la concurrence. L’Ordre des pharmaciens abuserait de la première pour fouler aux pieds les principes élémentaires du second.
La déontologie et la concurrence, dans le secteur des professions réglementées et, en l’espèce, dans celui des professions de santé, ne constituent pas deux principes qui s’opposent et se repoussent. Bien au contraire, ils comportent l’un sur l’autre une influence réciproque et cohabitent de manière équilibrée, chacun d’entre eux ayant ses vertus propres et son utilité.
Le thème de l’affichage en vitrine, constitue une bonne illustration de la cohabitation de la norme déontologique et concurrentielle.
Les pharmaciens d’officine interviennent sur un marché.
Personne ne conteste que les professions libérales de santé mènent une activité économique et interviennent sur un marché, en l’occurrence celui de la santé et de la prestation de soins. À ce titre, les pharmaciens d’officine doivent respecter les règles applicables en la matière, comme tout autre intervenant économique. L’affichage des prix en fait parti. La faculté de faire de la publicité ne leur est pas non plus fermée, même si elle est encadrée. Ainsi, les articles L. 5125-32, R5125-26 et 27, R.4235-57 et 58 précisent les conditions dans lesquelles les pharmaciens peuvent opérer une information en faveur de l’officine ou des produits et articles dont la vente ne leur est pas réservée. Les règles fixant les actions de publicité et de communication ne sont d’ailleurs pas spécifiques à la profession de pharmacien d’officine et sont largement répandues dans les professions réglementées.
S’agissant plus particulièrement de la réglementation applicable aux vitrines, l’article R. 4235-59 du CSP en fixe le régime : l’aménagement des vitrines doit respecter les dispositions relatives à l’information sur les prix pratiqués, tout en respectant également les principes déontologiques de non-sollicitation de clientèle par des procédés et moyens contraires à la dignité de la profession. Il s’agit donc là d’une excellente illustration du nécessaire équilibre entre la règle concurrentielle et la règle déontologique, les deux devant se compléter et s’appliquer ensemble !
La règle déontologique est avant tout dictée par la loi et le pouvoir réglementaire et fait l’objet d’un avis des autorités de la concurrence. Il appartient, notamment, aux autorités ordinales de la faire respecter. La nécessité d’encadrer l’activité des professions de santé de manière particulière a été rappelée au niveau européen lors de l’adoption de la « directive services », dont sont précisément exclus les professionnels de santé. Le législateur européen a en effet renoncé à intégrer le secteur de la santé dans ce texte, estimant que la spécificité de ce domaine justifiait que des réglementations viennent corriger les imperfections du marché et garantir aux citoyens d’accéder à des soins de haute qualité.
La coexistence des règles déontologiques et du droit de la concurrence.
Les règles déontologiques constituent un ensemble de devoirs qui vise à la protection du public, la préservation de la dignité humaine et l’accès égal aux soins, principes fondamentaux des droits de l’homme. Elles sont validées par une jurisprudence constante de la Cour de Justice de l’Union européenne. Les codes de déontologie des professions de santé et, en l’occurrence, celui des pharmaciens, sont là pour poser les principes d’honorabilité, d’indépendance et de dignité que les pharmaciens doivent respecter dans leur exercice. L’Autorité de la concurrence a encore tout récemment reconnu l’utilité des codes de déontologie, à l’occasion de l’examen du code de déontologie des masseurs-kinésithérapeutes, relevant que « les seules règles du marché sont insuffisantes à garantir que les exigences de sécurité et de qualité qui s’attachent à ces professions seront satisfaites » et que l’existence des codes de déontologie ne pose pas en elle-même de difficulté au regard du droit de la concurrence.
S’agissant des pharmaciens, deux décisions importantes ont été rendues par la Cour de justice de l’Union européenne, le 19 mai 2009 dans des affaires Commission/Italie (C-531/06) et Apothekerkammer des Saarlandes e.a (C-171/07), consacrant leur place dans le système de soins français et leur nécessaire indépendance professionnelle. Dans ces arrêts, la Cour de justice expose clairement que le caractère très particulier des médicaments et les effets thérapeutiques de ceux-ci les distinguent substantiellement des autres marchandises. Elle y situe parfaitement le contexte qui nous occupe en l’espèce : « Il ne saurait être nié qu’un pharmacien poursuit, à l’instar d’autres personnes, l’objectif de la recherche de bénéfices. Cependant, en tant que pharmacien de profession, il est censé exploiter la pharmacie non pas dans un objectif purement économique, mais également dans une optique professionnelle. Son intérêt privé lié à la réalisation de bénéfices se trouve ainsi tempéré par sa formation, par son expérience professionnelle et par la responsabilité qui lui incombe, étant donné qu’une éventuelle violation des règles légales ou déontologiques fragilise non seulement la valeur de son investissement, mais également sa propre existence professionnelle. »
La loi HPST de 2009 et les derniers développements sur la convention nationale pharmaceutique confirment encore davantage l’importance de la mission du pharmacien, ainsi que le conseil qui y est attaché. Le pharmacien d’officine n’est donc pas un banal intervenant sur le marché. Il a, au contraire, un rôle et des devoirs vis-à-vis du patient qui lui donnent une responsabilité toute particulière dans ses actions car il est dépositaire d’un monopole, octroyé dans l’intérêt de la santé publique. Il bénéficie des règles du marché. Son code de déontologie et ses règles professionnelles doivent aussi être prises en compte. À cet égard, il apparaît légitime que, pour des impératifs reconnus de santé publique, le pharmacien ne puisse avoir recours à tous les moyens marketing à disposition de tout commerçant. Un équilibre doit être opéré entre libre concurrence et application de la règle déontologique.
Le rôle des instances ordinales.
Les conseils de l’Ordre n’ignorent évidemment pas le droit de la concurrence. Déjà parce qu’il leur est directement applicable, tout comme à leurs membres. Ensuite, parce qu’ils ont pleine conscience que la libre concurrence fait progresser et rend compétitif. Le pharmacien d’officine doit pouvoir faire fructifier son activité, à l’instar de tout entrepreneur.
Pour autant, l’Ordre, dans le cadre de sa mission de service public, particulièrement dans l’exercice de sa compétence disciplinaire, est là pour appliquer les textes existants issus d’un vote parlementaire démocratique ou du pouvoir réglementaire. Il ne lui appartient pas d’ignorer ces textes et de permettre leur violation et l’instauration, dans la profession, de comportements indignes ou contraires à l’honneur et la probité. Son rôle est d’en assurer une juste application en recourant au test de proportionnalité préconisé par les autorités de concurrence nationales et européennes. Si, au terme de ce test, il apparaît que la règle déontologique n’est pas respectée, elle peut faire l’objet d’une sanction disciplinaire. Il n’y a là ni menace, ni pression sur le pharmacien, mais simple application de la loi. Me Bensoussan est bien sûr libre d’en contester la pertinence mais pas d’égarer le lecteur en confiant aux autorités ordinales des pouvoirs qu’elles n’ont pas ou en faisant référence à une affaire en cours devant le Tribunal de l’Union européenne totalement étrangère à l’affichage et à la publicité. L’on peut estimer que les règles professionnelles et déontologiques édictées par le législateur, qui favorisent un exercice digne, honnête, confraternel et respectueux, sont de mauvaises règles, au surplus obsolètes. Force est toutefois de constater qu’elles ont été conçues pour protéger le patient et qu’elles ont fait leurs preuves.
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