DES CARRIÈRES médicale, humanitaire, diplomatique et littéraire, entre romans et essais, toutes au plus haut niveau (l’Académie française en 2008, les prix Goncourt en 1997 pour « L’Abyssin » et en 2001 pour « Rouge Brésil », l’Interallié en 1999 pour « les Causes perdues ») n’empêchent pas Jean-Christophe Rufin d’aller au plus simple dans « le Collier rouge » (1). Un récit court et incisif, qui se situe dans le Berry au lendemain de la Grande Guerre, lorsqu’un officier instruit le procès d’un jeune paysan décoré pour bravoure sur le front, dans les Balkans, et paradoxalement détenu pour « outrage à la Nation ». La fidélité et la loyauté sont au cœur du roman, celle d’un chien qui a suivi et servi son maître dans les pires conditions, tout comme, on le découvre au fil des témoignages, la fidélité amoureuse ou à des idées ; mais l’autre notion surtout célébrée ici est l’humanité, ce qui n’appartient qu’à l’homme et lui permet de se reconnaître dans l’ennemi et de passer de la barbarie animale exigée durant les combats à la fraternité. Un très joli roman, à la fois démonstratif et poétique, réconfortant.
Avec « Étienne regrette » (2), Antoine Sénanque - dont « la Grande Garde » avait reçu le prix Jean Bernard - offre une parenthèse réjouissante. L’antihéros du roman, Étienne Fusain, est un prof de philo dont l’univers tristement rangé bascule lorsqu’il lit, gravé au Bic rouge sur son bureau, « Fusain est un con ». Et si le jugement était exact ?
Désarçonné, il abandonne son travail, qui l’ennuie, sa femme, à laquelle il ne parle plus, sa fille, qui ne lui parle pas, et s’installe chez son ami d’enfance qui est médecin légiste. Et son contraire, car Larbaud est un amoureux de la vie, un amateur du bien manger, du bien boire et des femmes. Voilà les deux compères embarqués, au mitan de leur vie et entre deux dissections et considérations sur la mort, dans des aventures et des questionnements d’ados, un espace-temps où tout est permis et surtout possible, une parenthèse de liberté et une cure de jouvence. Le bonheur est pour demain, si vous le voulez bien.
La « crise du milieu de vie » est également le sujet du quatrième opus de la série consacrée par François Lelord, ex-psychiatre, à son héros psychiatre, Hector. Dans « Hector veut changer de vie » (3), le praticien pince-sans-rire est aux prises avec une épidémie : l’un après l’autre, ses patients émettent le désir d’une autre existence. Bien qu’il trouve son métier de plus en plus fatigant, sa femme trop occupée et ses enfants bien absents, Hector s’avoue globalement assez satisfait de sa vie. Mais comment va-t-il réagir ? En consultant un confrère, en écrivant un livre sur le sujet, ou en changeant lui aussi de vie ? Un livre pour rire.
Fluor mortel.
S’il est un roman à ne pas manquer, c’est bien « la Fuite du temps » (4), la septième traduction de l’écrivain chinois Yan Lianke, fils de paysans illettrés né en 1958, qui a débuté sa carrière littéraire dans l’armée et qui est tantôt acclamé par la critique chinoise, tantôt mis à l’index. Comme dans « le Rêve du village des Ding », qui portait sur le scandale du sang contaminé dans les années 1990, « la Fuite du temps » s’attache au village des Trois Patronymes, les Du, les Lan et les Sima, où tous les habitants sont emportés avant 40 ans par la « maladie de la gorge obstruée ». L’excès de fluor dans l’eau est en cause et l’histoire est basée sur des faits réels de la terre natale de l’auteur, le Henan.
Ce que Yan Lianke montre, c’est le combat des hommes qui entreprennent à mains nues de titanesques travaux pour conjurer le mal. C’est aussi, alors que le chef du village est à la veille du fatal anniversaire, la démarche de son cadet pour vendre sa peau à l’hôpital des grands brûlés et celle de la belle Sishi, l’amour de toujours de Sima Lan, de faire « commerce de chair » afin de récolter l’argent nécessaire pour acheter des outils ou pour une improbable opération qui lui donnerait un sursis.
L’intérêt du roman ne tient pas seulement à la vie de ces petites gens décrite avec réalisme et truculence. Il repose aussi sur sa construction étonnante, en cinq livres dont chacun contient moins de pages que le précédent et où le temps va à rebours : le premier livre s’achève avec la mort du personnage principal tandis que le dernier livre se clôt sur sa naissance. On sait tout des événements et, pourtant, on découvre avec bonheur ce récit de vie et de mort flamboyant. À lire absolument.
(2) Grasset, 234 p., 18 euros.
(3) Odile Jacob, 220 p., 20,90 euros.
(4) Philippe Picquier, 605 p., 22 euros.
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