En 2018, 1 950 ordonnances falsifiées ont été recensées par l'enquête OSIAP (Ordonnances suspectes indicateurs d'abus possible), menée par le Centre d'évaluation et d'information de la pharmacodépendance (CIEP). Un chiffre nettement supérieur à celui enregistré l'année précédente (1 290) et qui montre une nouvelle fois que le nombre de signalements ne cesse d'augmenter (seulement 756 cas avaient été comptabilisés en 2013). Mais qui est, sans aucun doute, bien en-deçà de la réalité. En tout, 3 340 médicaments ont été cités soit, dans le détail, 278 substances et 395 spécialités différentes. Sur la plus haute marche du podium depuis plusieurs années, le zolpidem a été détrôné par la codéine, antitussive et en association au paracétamol, qui représente à elle seule près de 30 % des cas recensés. Zolpidem, qui concentrait près d'un quart des signalements en 2017, n'est plus que 5e un an plus tard (8,6 % des signalements), devancé par la codéine donc, mais aussi par le tramadol (12,2 %) et la prégabaline (11,9 %). Depuis l'arrêté du 12 juillet 2017, 380 cas d'ordonnances falsifiées concernant les produits codéinés ont été enregistrés, contre seulement 20 avant le listage de ces spécialités. Une décision législative qui a entraîné une baisse de leur consommation mais qui a, semble-t-il, poussé dans le même temps de plus en plus de personnes à falsifier des ordonnances afin d'en obtenir.
Des ordonnances souvent indétectables
Le CIEP recueille deux fois par an, en mai et en novembre, les ordonnances suspectes identifiées par les officinaux. Ces « périodes d'enquête » sont menées via un questionnaire qui permet de déterminer les « caractéristiques démographiques, les médicaments concernés et les critères de suspicion de l'ordonnance ». À ces chiffres sont ensuite ajoutés ceux enregistrés tout au long de l'année. Des résultats particulièrement intéressants à connaître lorsqu'on se trouve derrière le comptoir, surtout à l'heure où les ordonnances « électroniques » prennent peu à peu le pas sur les prescriptions rédigées à la main. Toutefois, débusquer un patient malhonnête muni d'une ordonnance falsifiée est bien souvent mission impossible. Une « bonne » fausse ordonnance est même indétectable, comme le concède le CIEP. Entre les personnes devenues accros à certains médicaments et celles animées par le désir d'alimenter un véritable trafic, les profils des « suspects » sont aussi divers que variés. Toujours selon l'enquête OSIAP, les demandeurs sont le plus souvent des hommes (60 %) et l'âge moyen se situe autour de 35 ans. Toutes les générations sont concernées, de 10 ans pour le plus jeune falsificateur recensé, à 91 ans pour le plus âgé, selon l'enquête. Enfin, le patient est connu de l'officine dans moins de 10 % des cas.
Cas extrêmes
Bien conscients qu'ils ne parviendront pas à flouer le même officinal à plusieurs reprises, les auteurs d'ordonnances falsifiées écument les pharmacies, parfois pendant des années. Placée en garde à vue, une femme de 31 ans originaire du Nord avait ainsi récupéré illégalement plus de mille boîtes d'antalgiques et de somnifères pendant cinq ans. Le nombre de comprimés d'alprazolam, de tramadol et de zolpidem retrouvés chez cette dernière a levé tout doute sur la possibilité d'une consommation personnelle. À Beaucaire, dans le Gard, 251 fausses ordonnances médicales ont été retrouvées chez un homme de 64 ans, qui, depuis son ordinateur personnel, rédigeait de fausses prescriptions afin d'obtenir, selon ses dires, des somnifères pour son épouse. Usurpant, pendant quatre ans, le nom d'un seul et même généraliste, le sexagénaire a été inculpé par le tribunal correctionnel de Tarascon pour « escroquerie à la CPAM, faux et usage de faux » et attend aujourd'hui son procès. Condamnée à huit mois de prison avec sursis et à une obligation de se soigner, une femme vivant à Lorient, dans le Morbihan, a volé des ordonnances, les a photocopiées et a modifié les posologies pour obtenir un somnifère auquel elle était dépendante. Les ordonnances sécurisées nécessaires pour obtenir ce médicament n'auront pas empêché la trentenaire, qui utilisait plusieurs identités, de flouer quatre praticiens du département pendant deux ans avant que des pharmaciens vigilants ne finissent par donner l'alerte.
Une pratique « normale » aux yeux de certains patients
S'ils ne s'inquiètent pas d'éventuels risques iatrogéniques, une possible condamnation judiciaire donne tout de même quelques sueurs froides à certains usurpateurs, qui n'hésitent pas à se servir des forums de discussion sur Internet pour trouver conseil. « J'ai été pris hier en " flag " chez le pharmacien après lui avoir envoyé, via une application, une fausse ordonnance pour du Dafalgan codéine. J'en ai fait à peu près une vingtaine, je ne sais pas si le médecin ou le pharmacien va porter plainte… », raconte ainsi un utilisateur du site « PsychoActif ». Selon cet internaute, c'est l'addiction à ce médicament combinée aux nouvelles règles en vigueur qui l'a poussé à commettre ce délit. Certains utilisateurs lui préconisent d'aller discuter avec le médecin afin d'obtenir sa clémence.
Considérée comme une fraude à la Sécurité sociale, la falsification d'ordonnance peut être très sévèrement punie par la loi. Si un particulier peut écoper d'une amende de 5 000 euros en cas de fraude avérée, une escroquerie manifeste (si l'ordonnance est créée de toutes pièces par exemple) peut, elle, être passible d'une amende de 375 000 euros et d'une peine de 5 ans d'emprisonnement, comme le précise l'article 313-1 du Code pénal.
Comment reconnaître ?
En France, l'application Alerte Pro Santé propose un service dédié aux vols d'ordonnances. Alimentée en continu par les signalements réalisés par les prescripteurs victimes de vols, la plateforme Alerte Pro Santé est en mesure d'adresser des alertes régionalisées aux pharmaciens susceptibles de se voir présenter ces « prescriptions maison ». Un dispositif dont l'efficacité dépend bien sûr de l'adhésion des professionnels de santé. À défaut, pour ne pas être dupe, quelques indices évocateurs suffisent à trahir les intentions douteuses : confusion ou nervosité devant le comptoir, présence sur l'ordonnance du tampon d'une autre pharmacie ou encore refus de présenter la carte Vitale.
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