LE PHILOSOPHE revient donc dans ce dernier opus sur la querelle de la laïcité et les épisodes liés à l’introduction ou non de signes religieux à l’école. La déclaration d’un jeune Musulman sert de détonateur à ce qu’il se tue à nous dire depuis longtemps : « Nous ne revendiquons aucun privilège, nous voulons que l’école soit à l’image de la société telle quelle. »
Précisément, c’est ce que les penseurs chers à Alain Finkielkraut, Ferdinand Buisson et Jules Ferry, ont tenté d’éviter. L’école n’est pas une addition de communautés. « L’enceinte scolaire, relève-t-il, délimite un espace séparé, singulier, irréductible. » Elle n’est pas un forum où les discours viennent s’épancher, où s’affrontent les sensibilités diverses.
Mais les « Modernes » en ont décidé autrement, car un nouveau sujet historique est apparu : le jeune, une réalité « aussi vieille que l’humanité », dit finement l’auteur. Un jeune qui apporte à l’école ses particularismes musicaux, vestimentaires. « Courtisé, adulé par l’industrie du divertissement (...) il ne peut vouloir qu’on l’élève, il est sur un trône. » Faussement naïf, Finkielkraut pointe la contradiction qu’il y a à interdire le voile au moment où on souhaite ouvrir l’école aux codes, marques et signes d’appartenance les plus divers.
Ce qui fait l’Europe.
Ces polémiques ramènent l’auteur vers l’origine : qu’est-ce qui fait l’identité des peuples ? À Renan, dont la pensée s’ancre dans les Lumières, qui fait dériver la nation d’un contrat, s’oppose le droitisant Barrès, pour qui l’identité se forge par l’Histoire et la Géographie. Elles justifient en partie son antisémitisme : le Juif vient d’ailleurs, ses ancêtres n’ont pas laissé de trace dans le paysage.
Les démons de l’identité vont trouver leur paroxysme avec Hitler. « Le temps, qui travaille à l’usure du chagrin, qui favorise le pardon et l’oubli, n’atténue en rien la colossale hécatombe : au contraire, il ne cesse d’en aviver l’horreur », a écrit Vladimir Jankélévitch. On comprend alors le basculement réactif qui va se produire en Europe. Qu’est-ce qui fait l’européanité ? Le sociologue allemand Ulrich Beck répond aujourd’hui : le cosmopolitisme. Attachée à se déprendre de l’histoire d’où elle est issue, conçue comme l’antithèse de celle qui a enfanté la catastrophe, l’Europe se sent prise, selon l’auteur, d’un « vertige de la désidentification ».
Seulement on est allé trop loin, estime Alain Finkielkraut. En gommant rageusement toute spécificité française, on a laissé le champ libre par ailleurs à l’éclosion des multiplicités culturelles pittoresques et colorées qui plaisent tant aux Bobos. On a aussi accru le manque de repères des Français « qu’on n’ose plus dire de souche », qui habitent entre cybercafé nommé « Bled.com » et boucherie halal. « Ils incarnaient la norme, les voici minoritaires dans un espace dont ils ont perdu la maîtrise. » Alors Alain Finkielkraut est-il si malheureux ? Non, seulement « mécontemporain », comme d’habitude.
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