LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN.- Cela fait maintenant 6 mois que vous présidez l’Ordre des pharmaciens et aujourd’hui, vous appelez de vos vœux un vaste projet de réforme de l’institution. En quoi consistera cette réforme ?
ISABELLE ADENOT.- Lorsque j’ai été élue, il y a six mois, je m’étais engagée sur certains points, et notamment à faire en sorte que l’Ordre soit la maison de tous les métiers. Aujourd’hui, l’Ordre, établissement qui a des missions de service public, doit faire face à de nouveaux défis car l’Europe de la santé est en marche, et la démographie professionnelle change. Par ailleurs, la nécessité, chaque jour plus grande, de maîtriser les coûts, confronte notre instance à un défi permanent : comment continuer de veiller à la compétence des confrères quand la maîtrise des coûts menace la qualité de l’acte pharmaceutique ?
Pour toutes ces raisons, et d’autres encore, il est devenu aujourd’hui nécessaire de réaliser la réforme de l’institution ordinale. Cette réforme s’articule autour de trois projets prioritaires. Le premier concerne notre informatique : celle-ci va être totalement refondue afin de pouvoir suivre l’évolution professionnelle à la fois du pharmacien lui-même, et celle de l’établissement dans lequel il exerce. Cette refonte en profondeur permettra à terme de sortir des statistiques affinées de la démographie pharmaceutique.
Le second projet prioritaire passe également par l’informatique, et touche aux moyens de communication de notre institution. Le site internet de l’Ordre est pour l’heure ouvert à tous : grand public, pharmaciens et élus ordinaux. Ce qui empêche de communiquer comme on le voudrait. Nous allons donc reconstruire entièrement ce site en distinguant une partie réservée au grand public, d’une autre réservée aux pharmaciens et d’un extranet qui sera dédié aux élus ordinaux.
Mon troisième chantier prioritaire concerne les questions relatives aux chambres de discipline. À ce jour, nous ne disposons pas, sauf sur le papier, et encore ne sont-elles diffusées que par une lettre trimestrielle, de l’ensemble des décisions de jurisprudence. Nous allons donc informatiser totalement le greffe de l’Ordre. Qu’il s’agisse des élus ordinaux ou des pharmaciens en exercice, la nécessité de disposer de repères en matière jurisprudentielle s’imposait. Le but de cette démarche est de développer la pédagogie dans le domaine de la réglementation. Ce sont là trois énormes chantiers qui vont mobiliser la maison pour les 18 mois à venir.
L’Europe et ses institutions n’ont pas ménagé l’officine ces dernières années. Craignez-vous de nouvelles attaques contre la profession dans les mois à venir ?
Plutôt que de vous répondre sur les attaques à la profession, je préfère approcher cette question de l’Europe dans ce qu’elle a de positif. À titre personnel, je suis une Européenne convaincue et, je vous l’ai dit, l’Europe de la santé est en route. Quatre directives essentielles sont en chantier, notamment sur le paquet médicament et sur les soins transfrontaliers ; par ailleurs l’EMA (Agence européenne du médicament) prend des positions de plus en plus manifestes. On ne peut plus écarter le dossier Europe. Il y a eu l’arrêt de la Cour européenne du 19 mai au sujet du capital des officines, et sur le maillage territorial nous attendons encore les réponses aux questions préjudicielles, quant au débat sur la question de la vente exclusive des médicaments en officine, il n’est pas clos. Et il y a aussi l’émergence préoccupante de pharmaciens « bac plus 3 » comme en Suède ou au Pays-Bas. Il y a énormément de débats au niveau européen, même si la subsidiarité a été largement reconnue et réaffirmée par le traité de Lisbonne. C’est dans ce contexte que l’Ordre a choisi de s’orienter vers plus d’Europe. Cette nouvelle orientation sera d’ailleurs présente dans l’organigramme remodelé de notre institution.
Chaque année l’Ordre analyse les évolutions de la démographie pharmaceutique. Mais cette année vous avez promis d’en faire plus, notamment en portant un nouveau regard sur les chiffres avec l’objectif de mieux utiliser les données. Pouvez-vous nous expliquer comment ?
L’Ordre dispose de données qu’il est seul à posséder. Où va la profession, qu’est-ce qui compte pour elle, quelles sont les évolutions, comment les anticiper ? Voilà toutes les questions auxquelles ces données devraient pouvoir répondre. De même, à chaque changement de loi nous devrions pouvoir savoir quel sera l’impact du nouveau texte. Ce suivi n’est pas actuellement fait autant que nous le voudrions. Prenons pour exemple les situations de fermeture d’officine. Dans le cas de fermeture de 50 ou 60 officines, il faudrait pouvoir analyser les localisations de ces pharmacies. Ferment-elles dans une zone rurale, dans des grandes villes, étaient-elles récemment créées ou très anciennes, quel est leur environnement professionnel ? Toutes ces questions devraient pouvoir être traitées pour mieux comprendre ce qui se passe sur le terrain. Notre objectif final sera de donner plus de sens aux chiffres et de fournir une meilleure qualité de service aussi bien aux pharmaciens qu’aux autorités de tutelle.
La loi Bachelot confirme la possibilité pour les pharmaciens de participer à la coopération entre professionnels de santé. Mais l’arrêté paru le 15 janvier, qui fixe les premières modalités de cette coopération, semble ne pas vous satisfaire. Que reprochez-vous à ce texte ?
Nous avons travaillé à ce projet de coopération interprofessionnelle en collaboration avec les autres Ordres. C’est une évidence, la coopération représente l’avenir. Nous constatons d’ailleurs sur le terrain que le pharmacien devient de plus en plus un professionnel de premier recours. Donc, nous ne souhaitons pas remettre en cause ce principe. Ce qui nous gêne, c’est que le texte paru ne permet pas aux Ordres de s’exprimer sur les compétences d’un professionnel pour le nouvel acte qui lui sera confié. Or, habituellement, c’est bien de la responsabilité des instances ordinales de veiller à la compétence des professionnels de santé. Et puis, il faut faire attention aux modalités de mise en place de cette coopération sur le terrain. Si elles sont trop compliquées, les confrères risquent de se décourager et de ne pas y participer.
Parmi les évolutions qui touchent le monde de la pharmacie, le développement des technologies de santé paraît bien engagé. Comment l’institution ordinale compte-t-elle accompagner cette révolution numérique ?
Internet a profondément changé notre vie quotidienne. Si, pour l’instant, le web n’a pas encore complètement investi les professions de santé, il devient tout de même de plus en plus présent. Et, au-delà du dossier pharmaceutique, l’Ordre devra se positionner sur tous les sujets qui s’y rapportent, telle la e-prescription ou le suivi des pathologies chroniques. Car l’une des missions principales de l’instance est d’identifier et d’authentifier les professionnels de santé. Nous devrons également nous prononcer sur la préservation des données de santé à caractère personnel. À mon sens, il ne s’agit pas de créer de nouveaux articles de déontologie, mais d’adapter les valeurs de l’instance à l’économie numérique.
Nous travaillons d’ailleurs à l’élaboration d’un portail permettant de garantir aux internautes qu’un site de pharmacie est bien rattaché à un pharmacien et à une officine. Notre rôle est aussi d’assurer à la population française que sous la croix verte, il y a bien un pharmacien.
Vous avez récemment reçu les groupements au sujet de leurs campagnes de communication. À quelles évolutions peut-on s’attendre dans ce domaine ?
Certes, nous avons lancé des actions contre certains groupements devant les tribunaux, mais nous avons aussi souhaité les rencontrer. Un groupe de travail va être mis en place. Si l’Ordre ne veut pas modifier les fondamentaux, la déontologie ne condamne pas pour autant à l’immobilisme. En effet, la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) va conduire l’officinal à étendre son exercice au-delà du médicament. Il sera notamment amené à développer des services au sein de son officine. Et la logique veut donc que nous puissions informer la population française des services qui lui seront proposés. Je m’étais engagé à la modification de certains textes. L’Ordre a fait une demande en ce sens pour permettre aux officinaux d’informer le public sur les services qu’ils offrent.
Mais, plus généralement, on peut aussi se demander si la pharmacie sait bien communiquer. Je n’en suis pas convaincue. D’autres secteurs savent bien mieux mettre en avant leur valeur ajoutée que nous. Le rêve, qui va peut-être devenir réalité, serait une communication globale pour présenter les atouts de l’ensemble de la chaîne du médicament, de la fabrication jusqu’à Cyclamed. Nous avons des particularités qu’il faut défendre et promouvoir.
L’interview en images : Retrouvez la vidéo de l’interview sur quotipharm.com
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