Concernant le dictateur libyen Mouammar Kadhafi, l’image est évidemment plus impressionnante que belle ! Dans « la Dernière Nuit du Raïs » (1), un livre construit comme une tragédie, l’écrivain algérien Yasmina Khadra montre le Guide en 2011 dans ses dernières heures, avant qu’il soit débusqué comme un rat et lynché. Mieux, c’est lui-même qui témoigne des préparatifs d’une ultime retraite, qui n’aura pas lieu, et qui, surtout, se raconte. Il se remémore des épisodes de sa vie depuis son enfance, autant d’indices de l’irrésistible ascension jusqu’au coup d’État qui l’a conduit au pouvoir suprême en 1969, et de son long règne sanguinaire. Pour l’auteur, expliquer n’est pas cautionner et ces souvenirs sont des morceaux choisis où, certes, l’homme se dévoile avec ses doutes et ses questions, mais où dominent ses frasques et ses accès de folie, sa mégalomanie et sa tyrannie.
À l’inverse, grâce à François Rachline (professeur d’économie à l’Institut d’études politiques de Paris, auteur de nombreux essais et de romans, dont « le Mendiant de Velázquez »), un homme sort enfin de l’ombre : son père, Lazare Rachline, cofondateur de la LICRA, en 1927, et grande figure de la Résistance. C’est à sa mort en 1968 que l’auteur a mené son enquête et il lui rend hommage dans « L.R. Les silences d’un résistant » (2). Lazare Rachline était un juif russe immigré, né en 1905 et naturalisé français seulement en 1938. Engagé volontaire en 1940, évadé du Stalag où il était prisonnier, il fut un résistant de la première heure et celui à qui de Gaulle confia la charge, en mars 1944, de restructurer la Résistance dans la perspective de la Libération. La guerre terminée, il est retourné à sa famille et à sa vie d’industriel. Dans l’ombre.
Chez les Boltanski, demandez… Christophe. On connaissait son oncle Christian, le plasticien, et son père Luc, sociologue et poète ; c’est au tour de Christophe Boltanski, journaliste, de raconter sa famille atypique, bourgeoise et bohème, talentueuse et éprise de liberté, névrosée aussi. Dans « la Cache » (3), il nous introduit dans leur appartement de la rue de Grenelle, à Paris, où s’entassent trois générations de Boltanski. La visite organisée nous conduit de la cuisine au grenier avec un arrêt dans une sorte de cagibi, une incongruité de la maison, où s’est caché son grand-père Étienne, un médecin juif converti au catholicisme, pendant l’Occupation. L’origine certainement d’une peur viscérale qui unit et relie les membres de la famille d’une génération à l’autre et qui explique aussi, peut-être, l’explosion de création remarquée chez eux.
La part d’ombre
Sélectionné pour les prix Renaudot et Décembre, « l’Autre Simenon » (4), qui s’attache au personnage de Christian Simenon, le frère cadet du célèbre auteur Georges Simenon, crée la polémique. La tâche de Patrick Roegiers (« la Traversée des plaisirs ») était a priori ingrate, de décrire la trajectoire d’un homme qui s’est engagé dans la Collaboration dès la fin de 1941 et a grimpé les échelons dans le Rex, le parti d’extrême-droite fondé par Léon Degrelle ; qui, en août 1944, a participé à la tuerie de 27 civils ; sur les conseils de son frère il s’est alors engagé dans la Légion étrangère et il a été tué en Indochine en 1947. Pendant ce temps, Georges accumulait les succès littéraires et cinématographiques, menant « la vie de château en Vendée ». Pour l’auteur, les deux hommes aux destins opposés sont les deux faces d’une même médaille. « Christian demeurait la part d’ombre de Georges, qui s’accommodait de semi-vérités qu’il valait mieux oublier », écrit-il.
Raphaël Confiant, l’un des chefs de file du mouvement littéraire de la créolité et l’auteur de plus d’une cinquantaine de livres, surprend toujours. Dans « Madame St-Clair, reine de Harlem » (5), il évoque l’étonnant destin d’une compatriote martiniquaise qui, entre les années 1920 et 1940, a fait main basse sur la loterie clandestine dans le quartier noir de New York, s’imposant à la fois sur la pègre noire de Harlem et sur la mafia blanche du Syndicat du crime, de la même façon qu’elle a dompté les hommes de sa vie. « Queenie » a bel et bien existé, qui, de petite négresse émigrée sans le sou et ne parlant pas anglais, est devenue une femme-gangster impitoyable mais aussi l’amie de nombre d’intellectuels et d’artistes de la Black Renaissance. Avant de s’éteindre dans son lit à l’âge respectable de 83 ans.
Marilyne Desbiolles (prix Femina 1999 pour « Anchise ») consacre son 30e ouvrage, « le Beau Temps » (6), à un illustre quasi-inconnu, Maurice Jaubert, un compositeur né avec le XXe siècle qui a travaillé avec les plus grands réalisateurs de cinéma des années 1930, Jean Vigo, Julien Duvivier, Marcel Carné, Jean Renoir, Henri Storck… Elle tente d’éclairer comment ce jeune homme, issu d’un milieu catholique plutôt conservateur mais baignant dans la musique autant que dans la lumière de Nice, a abandonné le droit pour les sons nouveaux du jazz et de la musique de Kurt Weill. Plus globalement, elle nous fait partager l’effervescence créatrice et l’énergie de vie qui ont régné dans l’entre-deux guerres – lesquelles se sont éteintes pour Maurice Jaubert très tôt, lorsqu’un éclat d’obus l’a touché en 1940.
(2) Albin Michel, 388 p., 22 euros.
(3) Stock, 335 p., 20 euros.
(4) Grasset, 296 p., 19 euros.
(5) Mercure de France, 323 p., 19,50 euros.
(6) Seuil, 229 p., 17,50 euros.
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