LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN.- Deux ans après l’arrêt de la Cour européenne de Justice sur le capital des pharmacies italiennes, plusieurs procédures restent ouvertes contre plusieurs pays, dont la France. Où en sont ces dossiers et constituent-ils encore une menace pour l’indépendance des pharmaciens européens ?
JOHN CHAVE. - Ces procédures auraient dû être abandonnées depuis longtemps par la Commission européenne qui sait que, après les arrêts de la Cour sur l’Italie, puis sur l’Espagne, elle n’a plus aucune chance de les gagner. Mais si la Commission a perdu sur le plan juridique, elle espère encore persuader les États de la justesse de sa position : c’est pour cela qu’elle ne referme pas ces dossiers. Son attitude a récemment encouragé la Bulgarie à libéraliser ses pharmacies, au motif que cela arriverait de toute manière un jour. Heureusement, elle est revenue finalement sur sa décision. Cela dit, nous sommes très déçus que la Commission ne ferme pas ces dossiers et nous lui avons rappelé que son attitude est inacceptable.
Plusieurs pays semblent aujourd’hui douter du bien-fondé d’une libéralisation à tous crins de leurs officines. Est-ce une tendance de fond en Europe ?
En effet, on a l’impression d’un net retour du principe des pharmacies réglementées. En observant la situation en Europe et ailleurs, beaucoup de pays se sont rendu compte que les déréglementations désorganisent les réseaux. Mais, surtout, ils s’aperçoivent que les compétences des pharmaciens sont mieux utilisées, dans une optique de politique de santé, dans des systèmes réglementés que dans des systèmes exclusivement régis par le marché. Après la Hongrie et la Roumanie, qui ont récemment mis fin aux chaînes de pharmacies et réservé la propriété des officines aux seuls pharmaciens, la Lettonie vient de prendre des mesures similaires, et le Danemark a annulé une loi qui visait, elle aussi, à libéraliser son secteur pharmaceutique. Même la Grèce, pourtant sommée par le FMI de libéraliser totalement son économie, a refusé de déréglementer ses pharmacies, et s’est contentée… d’en élargir les heures d’ouverture.
Plusieurs directives concernant la pharmacie ont été adoptées par l’Union européenne ces derniers mois. Quelles en seront les conséquences pour l’exercice professionnel ?
Nous n’avons jamais assisté à l’adoption d’autant de textes concernant les pharmaciens que depuis ces deux dernières années. Une directive sur la pharmacovigilance, dont nous nous félicitons, renforce le rôle des officinaux dans ce domaine. Il y a quelques mois, la directive sur les soins transfrontaliers a confirmé la possibilité pour les pharmaciens d’honorer les ordonnances émises dans d’autres pays, mais aussi de refuser de le faire lorsqu’ils ont des doutes sur leur authenticité ou leur validité. Ce texte, toutefois, ne change pas grand-chose en pratique car, sauf au Danemark, tous les pharmaciens européens acceptaient déjà depuis des années les ordonnances d’autres pays. Deux directives, encore en débat, nous semblent plus problématiques : celle sur la reconnaissance des qualifications professionnelles, et celle sur l’information des patients. Dans le premier cas, nous nous mobilisons pour que la durée de formation minimale des pharmaciens reste fixée à cinq ans, alors que la Suède aimerait confier la direction des pharmacies à des managers qui n’auraient fait que quatre ans d’étude, mais nous sommes optimistes sur l’issue de ce dossier. Dans le second cas, l’industrie pharmaceutique souhaite pouvoir informer directement les patients sur les médicaments qui leur sont prescrits. Ce projet, qui avait déjà été rejeté une première fois devant l’Union européenne, fait l’objet d’une nouvelle version, à laquelle nous sommes toujours opposés, car le producteur d’un médicament ne peut être neutre en matière d’information, comme on le constate dans tous les pays autorisant ces pratiques.
Une autre directive récente porte sur la lutte contre les médicaments falsifiés, et amènera les pharmaciens à pouvoir authentifier chaque boîte de médicaments qu’ils distribueront. Vers quoi se dirige-t-on en pratique ?
Cette directive, qui laisse aussi aux États membres le choix d’autoriser, ou non, les ventes par Internet de médicaments de prescription, prévoit que chaque boîte distribuée sera « traçable » grâce à un système de codes-barres imprimé sur l’emballage. C’est l’industrie qui financera le système, mais les pharmaciens devront scanner toutes les boîtes avant les délivrances. Cela pose des problèmes pratiques, mais aussi de confidentialité : si chaque code est vérifié auprès d’une banque de données, et donc inscrit, que vont devenir ces données, extrêmement précises ? Nous allons donc devoir être très vigilants sur ces questions au cours des mois à venir.
L’UE s’apprête à réviser ses directives sur la transparence et la fixation des prix des médicaments, qui datent de 1989. Qu’est-ce que les officinaux doivent-ils en attendre ?
Ces textes assez techniques faciliteront encore plus la pénétration des génériques bon marché dans toute l’Europe, et renforceront la coopération entre les États en matière de maîtrise des dépenses. On observe déjà, dans de nombreux pays, dont la France et l’Allemagne, une dégradation de l’activité économique des officines suite à toutes ces mesures d’économie. Actuellement, les pharmacies finlandaises plongent dans le rouge à cause de mesures de ce genre, ce qui aurait été inimaginable il y a trois ans encore. Les États se réunissent désormais trois fois par an pour évaluer leurs politiques pharmaceutiques et échanger des « recettes » dans ce domaine. Songez que les Pays-Bas ont réussi à faire diminuer de 90 %, vous avez bien entendu, 90 %, le prix de certains génériques en introduisant des politiques de rapport entre les prix et les volumes. Ce genre d’idées fait des émules. On observe aussi dans plusieurs pays, dont l’Italie et la République tchèque, un glissement croissant des médicaments chers de l’officine vers les pharmacies hospitalières, très préoccupant. Récemment, le Parlement européen a publié une étude sur le coût de la distribution des médicaments, ce qui est symptomatique des préoccupations des États : jamais, auparavant, le Parlement ne se serait chargé d’une telle mission.
Comment un organisme comme le GPEU peut-il répondre à ce type d’évolutions ?
Nous organisons désormais aussi des rencontres économiques régulières entre nos membres, pour mieux les informer sur la situation dans tous les pays et les aider à réagir. Les pharmaciens doivent être très vigilants sur les conséquences de toutes ces politiques sur leur rémunération. Certains pays, comme récemment la Belgique, ont remplacé leur marge par un honoraire, et je pense qu’une évolution de ce type peut répondre à ces nouveaux défis économiques. Nous devons, encore plus que par le passé, travailler tous ensemble sur ces dossiers qui conditionneront désormais, bien plus que les seules questions juridiques, l’avenir de la pharmacie européenne.
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