Geneviève Brisac est une écrivaine à plein temps qui glisse, entre essais littéraires, nouvelles, récits et scénarios, quelques romans. « Dans les yeux de l’autre » (1) met en avant, comme souvent chez elle, les relations entre femmes. Ici deux sœurs, qui, très jeunes, ont partagé les mêmes engagements politiques et les mêmes rêves de liberté, qui ont aimé chacune un camarade de lutte. Plusieurs décennies plus tard Molly la réaliste exerce comme médecin et continue, avec son compagnon, de se battre contre les moulins à vent de la misère ; Anna l’idéaliste n’a pas vécu avec son amoureux parce qu’il est mort en prison pendant la lutte armée, elle a connu un moment de gloire en relatant leurs années de militantisme mais elle a été reniée par sa sœur et elle est retombée dans l’anonymat et la pauvreté. À la croisée du récit d’éducation politique et sentimentale, deux destins étroitement liés et dissemblables, que Geneviève Brisac raconte avec une mélancolie parfois grinçante.
Autre ouvrage générationnel dans lequel beaucoup se reconnaîtront, « le Bonheur national brut » (2) est le deuxième livre de François Roux – réalisateur de films publicitaires, de documentaires, de vidéoclips et de courts-métrages de fiction –, après le remarqué « la Mélancolie des loups ». Ce vaste roman retrace le parcours de quatre copains depuis leur dernière année de lycée en Bretagne jusqu’à nos jours, de l’élection de François Mitterrand à celle de François Hollande. Marqués chacun par son milieu social et familial, ils ont des rêves et des ambitions ; la politique pour Rodolphe, la finance pour Tanguy, la photographie pour Benoît, tandis que Paul, le narrateur, « monte » à Paris pour entreprendre des études de médecine – et surtout pour vivre son homosexualité – avant de choisir le théâtre. Quatre destins d’hommes à la recherche du bonheur entre échecs et réussites, remises en cause et faux-pas, qui permettent à l’auteur de brosser un tableau social et politique de ces trente dernières années.
C’est d’abord d’un homme que nous parle Dominique Fabre, auteur d’une douzaine de romans, dans « Photos volées » (3). D’un homme qui, à 58 ans, vient de perdre le travail qui l’occupait huit heures par jour à défaut de l’intéresser. Divorcé, sans enfant, Jean a peu d’amis et parle peu – à des inconnues sur Internet parfois, à sa mère disparue depuis longtemps souvent. En même temps qu’il entreprend le parcours du combattant de la recherche d’emploi, il met de l’ordre dans ses affaires et exhume des clichés du temps de ses 20 ans, lorsque la photo était sa passion – une passion dont il avait d’ailleurs fait son métier avant de devoir se convertir. Ces photographies, mais aussi ses déambulations dans Paris, la rencontre inopinée avec une amie ou les retrouvailles provoquées avec un amour du passé, nous permettent de reconstituer la vie de Jean, ou plutôt de ce qu’il accepte d’en dévoiler. Car moins que les faits, c’est la part de mystère qu’il préserve qui attire chez cet homme ordinaire, et dans ce roman tout de mélancolie.
Pour son premier roman intitulé « le Voltigeur » (4), Marc Pondruel, 27 ans, se glisse dans la peau d’un quadragénaire qui, après vingt années auprès de sa compagne dans une lointaine Bulgarie, se souvient de sa jeunesse et des rencontres qui lui ont fait quitter l’enfance. De ses amis pendant des études à Lille, en particulier de Witold, qui lui a appris que tout est affaire de voltige : être assez malin pour réinventer les choses, s’autoriser un pas de côté. De ses amours, dont Nina, qui a failli causer sa perte. De ses errances à San Francisco, à Moscou ou aux rives de la mer Noire. Sachant qu’« on ne change jamais vraiment, au fond. C’est seulement les années qui sont passées. »
La ronde.
Déjà riche de 11 livres souvent couronnés et toujours remarqués depuis « Je vais bien, ne t’en fais pas », à seulement 40 ans, l’œuvre d’Olivier Adam s’enrichit, avec « Peine perdue » (5), d’un ouvrage éminemment romanesque et qui aborde même aux rivages du roman noir mais qui, dans son soubassement, est toujours social et politique.
Le lieu du drame – puisque le livre s’ouvre sur l’agression d’un jeune footballeur qu’on a laissé pour mort devant l’hôpital – est important : on est dans une petite station balnéaire de la Côte d’Azur après que les touristes sont partis et que les gens du coin retrouvent leurs habitudes . Une tempête s’en mêle, qui provoque dégâts et noyades.
Pour décrire cette fin de saison triste comme une fin du monde, Olivier Adam nous entraîne dans une ronde inattendue en donnant la parole à 22 personnes dont les destins ne sont pas forcément entrecroisés comme dans un roman choral classique mais qui ont un lien plus ou moins ténu avec l’affaire. Ce sont là des gens ordinaires, ceux des classes populaires, caractérisés seulement par un prénom, un métier ou un fait, des retraités aux jeunes paumés qui ont le sentiment de n’avoir pas de prise sur leur vie – que c’est peine perdue – et qui usent leurs rêves à la réalité, avec les dérapages inévitables du mirage de l’argent.
Loin du soleil et de la fête se déploie ainsi la litanie de ceux qu’on n’entend jamais mais dont l’attitude et leur peu de mots disent la fatigue et le mal-être. On a parlé de roman noir mais on retient de ce roman volontairement lancinant la grisaille des existences.
(2) Albin Michel, 679 p., 22,90 euros.
(3) L’Olivier, 313 p., 18,50 euros.
(4) JC Lattès, 331 p., 18 euros.
(5) Flammarion, 414 p., 21,50 euros.
Insolite
Épiler ou pas ?
La Pharmacie du Marché
Un comportement suspect
La Pharmacie du Marché
Le temps de la solidarité
Insolite
Rouge à lèvres d'occasion