ON DIT SOUVENT que le président est au mieux de sa forme quand il affronte une crise et réussit de plus belle quand elle est grave. N’est-ce pas le cas aujourd’hui ? Il y a trois semaines, la réforme des retraites, désavouée par 70 % des Français, apparaissait comme une démarche suicidaire. Il y a cinq mois, le remaniement, annoncé pour l’automne, semblait ridiculiser un chef de l’État indécis. Les socialistes avaient le vent en poupe, la majorité doutait et se divisait. Tous ces dangers n’ont certes pas disparu. Mais la réforme a divisé les syndicats, d’autant que M. Sarkozy a refusé de revenir sur les mesures d’âge (ce en quoi il avait raison, selon nous) et que les plus responsables des syndicalistes refusent de plonger le pays dans le chaos. Le président a pris un risque immense, mais il a réussi. La réforme a été votée par les deux chambres, avalisée par le Conseil constitutionnel (saisi par la gauche) et promulguée sans plus attendre par le chef de l’État. Les socialistes peuvent toujours dire qu’ils déferont la réforme et dénoncer la « brutalité » du président, encore faut-il qu’il reprennent le pouvoir et qu’ils décident enfin qui, de Martine Aubry ou de Benoît Hamon, exprime les idées de leur parti, ce qui n’est pas clair (manifestement, la réforme des retraites a enfoncé un coin dans leur unité) ; les syndicats peuvent toujours dire qu’ils vont négocier sur l’emploi, les jeunes et les seniors, les mesures d’âge ont été adoptées ; quant à Dominique de Villepin, crédité de huit pour cent de l’électorat dans les sondages, il est abandonné par ses propres amis.
Retour de Séoul.
Aujourd’hui, M. Sarkozy sera de retour de Séoul où il aura présidé le G20. Il est bien peu probable qu’il ait une influence sur la guerre des monnaies que se livrent la Chine et les États-Unis, mais la visite de Hu Jintao à Paris lui a permis d’avoir le soutien de Pékin. Il se targuera quoi qu’il en soit d’avoir une stature internationale et d’avoir défendu l’euro, dont l’incessante réévaluation menace les exportations de l’nion européenne. Il annoncera très vite la composition de son nouveau gouvernement qui, à moins d’un coup de théâtre, devrait être dirigé une fois encore par François Fillon, qui a su faire obstacle à la candidature de Jean-Louis Borloo, lequel, la semaine dernière, laissait entendre qu’il avait perdu la partie. Les railleurs et les censeurs s’esclafferont : le changement incarné par le même Premier ministre ? Oui, mais là est la surprise. Sans doute la cote de M. Sarkozy reste-t-elle très basse. Mais s’il n’est pas le plus parfait des présidents de la République, il demeure l’un des meilleurs tacticiens depuis Mitterrand, peut-être parce qu’il n’agit pas en fonction de la la logique. La majorité ne va-t-elle pas forcément se ressouder autour du seul candidat possible de la droite en 2012 ? Les centristes, qui croyaient leur heure venue, seront-ils si chagrin de la mise de M. Borloo à l’écart qu’ils voteront à gauche ? Bien sûr que non.
La clé, c’est l’économie.
Et comment M. de Villepin, si emporté qu’il en perd le sens des choses et ses propres perspectives à court terme, pourrait-il recueillir un nombre substantiel de suffrages de droite ? Comment pourra-t-il, même s’il en a le désir profond, assurer par sa candidature la défaite ce qui est encore, jusqu’à nouvel ordre, son propre camp ? Il s’est mis dans la situation de François Bayrou en 2007 : il n’y a pas de place pour un candidat centriste ou, dans le cas de Villepin, différent. Les candidatures les plus originales doivent tôt ou tard, rejoindre la majorité ou l’opposition. Les villepinistes qui réfléchissent ne le suivront pas dans l’aventure, d’autant que M. Sarkozy a enfin compris qu’il ne devait jamais répondre personnellement aux provocations. La preuve, les Le Maire, les Baroin, les Tron s’en sont chargés. Ce qui démontre que le président a eu du nez quand ils les a recrutés au gouvernement, où d’ailleurs ils travaillent bien.
Bien entendu, rien n’est exclu, ni que la situation économique se dégrade dans les dix-huit mois qui viennent (c’est la clé du succès ou de l’échec de la droite en 2012), ni que Martine Aubry remette une fois de plus de l’ordre dans cette pétaudière permanente qu’est le PS, ni que le rejet populaire de M. Sarkozy se renforce chaque jour un peu plus, nourri par le sentiment d’injustice, par l’humiliation infligée aux syndicats, et par le comportement du président. On admettra néanmoins que, pour un homme qui semblait au fond du trou il y a encore une semaine ou deux, la détresse a cédé le pas à des signes encourageants.
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